Mise en perspective de pratiques complémentaires d'autoformation émancipatrices :
échanges de savoirs, arbres de connaissance et pédagogies personnalisées - PROJET SCATE .

 

OLivier Las Vergnas et BERNADETTE THOMAS,
Cité des Sciences et de l’Industrie et Réseau International des Cités des métIERS,


d'après la CONTRIBUTION AU COLLOQUE AUTOFORMATION - 18 MAI 2006 ENFa
Site du projet scate : http://www.scate.info

 

 

1.      Faire connaître les pratiques suédoises d’éducation populaire

Un peu partout en Europe se sont développées des actions pédagogiques au sein de petits groupes d'apprenants s'appuyant sur des méthodes de projets ou d'échanges de savoirs, visant à l'empowerment (au sens d’émancipation) des individus. Ces actions se retrouvent dans des cadres non formels ou informels (dans l'éducation "populaire" pour reprendre l'expression française) et ont abouti à la mise en place d'autant de réseaux spécifiques. De fait, même si les pédagogies en question s'appuient sur des valeurs proches, ces réseaux travaillent peu ensemble.

Or, chacun d’entre eux ont mis au point des méthodes spécifiques qui agissent dans des champs complémentaires[1], en particulier ceux de :
-  la formalisation des actes d'échanges réciproques de savoirs entre individus[2] (Mouvements des ERS),
-  la constitution de banques pour troquer du temps de formation (Réseau des Time Banks),
-  la cartographie des connaissances possédées et échangeables (Réseau Arbor et sens, fondé sur la méthodologie des arbres de connaissances[3]),
-  la contractualisation des actions de formations individuelles (Réseau des ateliers de pédagogie personnalisée[4] (APP).

Voilà qui suggère de favoriser la connaissance réciproques de ces pratiques en Europe et d’étudier la pertinence d’hybrider entre elles certaines de ces méthodes. C’est dans ce but que le projet SCATE (Study Circles : A Tool for Empowerment) a été mis en place en 2004 à l’initiative de la Cité des métiers et de la Province de Gènes (Italie) dans le cadre de l'initiative Socrate Grundtvig.  

Ce projet partait à l’origine de la volonté de mieux faire connaître dans les autres Etats membres, les pratiques extrêmement répandues en Suède des « Studiecirkels » (SC, voir encadré 1) qui commençaient à être également développées en Italie et dont la province de Gènes encourageait le développement sur son territoire. On pourrait d’ailleurs ajouter fort légitimement à la liste précédente des méthodes spécifiques développées ça et là en Europe, celles justement mises en place par cette collectivité locale pour financer - par des appels à projet très légers et pragmatiques - toute initiative, même très peu formelle de constitution d’équivalents génois des SC.

 

 

Encadré 1 : Les Cercles d’Etudes et l'éducation populaire en Suède

(Extrait du site : http://www.folkbildning.se/page/61/fran%E7ais.htm )


En Suède, existent dix fédérations d’éducation populaire ("Folkbildning" en Suédois) qui, chaque année, développent environ 350.000 cercles d'études (« Studiecirkel ») avec à peu près trois millions participants. Comme beaucoup d'entre eux assistent à plus d'un cercle par an, le total réel des participants différents, est estimé à un million et demi ou deux millions par an, sur une population globale de la Suède de huit millions.  Les statistiques sont disponibles à http://www.folkbildning.se/page/36/statistik.htm . Ces fédérations organisent aussi plus de 160.000 événements culturels avec environ 150.000 participants ou assistants. A noter que 147 Écoles Populaires Supérieures se sont développées dans toute la Suède qui reçoivent à peu près 40.000 participants par an et environ 150.000 participants à leurs stages de courte durée.

Pendant plus de cent ans les Suédois se sont mobilisés volontairement pour étudier selon leurs propres souhaits et pour assister aux conférences et aux événements culturels. Les gens se rencontrent pour apprendre plus ensemble, pour améliorer leurs possibilités d'influencer leurs propres conditions de vie et souvent pour influencer et changer leurs conditions sociales. Environ 75 % des Suédois entre 18 et 75 ans ont participé une fois ou plus à un cercle d'études; presque 40 % ont participé au moins une fois à un cercle d'études durant les trois dernières années. 13 % ont suivi un cours d'École Populaire Supérieure et 8 % ont suivi un cours de longue durée

 

L'éducation populaire se caractérise par la liberté et le volontariat. Elle est indépendante de la gestion du gouvernement ou d'autres intéressés et elle est choisie volontairement par les participants. Le point de départ est, entre outre, que tous les citoyens ont le droit de participer activement à la vie sociale et de prendre la responsabilité de leur propre éducation. Une culture particulière de dialogue démocratique s'est formée au sein de l'éducation populaire.  Elle insiste sur la tolérance envers ceux qui pensent différemment et le respect pour les arguments objectifs et les décisions prises. Elle est à la base du travail interne des cercles d'études et des cours dans lesquels les participants ont une influence importante et où le contenu et la planification du cours se font en commun. L'éducation populaire est largement financée par des subventions de l'État, des conseils généraux et des communes. L'État a formulé l'objectif de l'Éducation Populaire et les conditions qui lui permettent de prétendre à sa part des subventions:

 

Les citoyens doivent avoir la chance d'influencer leurs conditions de vie et participer au progrès social. La démocratie doit en être fortifiée et développée. L'intérêt culturel dans la société doit être élargi autant que la participation et la créativité doit être encouragées.
L'éducation populaire doit donner la priorité aux activités qui visent à faire disparaître les différences d'éducation et qui s'adressent aux personnes qui au point de vue de leur formation sont socialement et culturellement marginalisées. Les cibles particulièrement importantes sont les personnes d'origine étrangère, les participants handicapés et les chômeurs.

Fortifier la démocratie

 

Une raison fondamentale pour que l'éducation populaire soit subventionnée par l'État est qu'elle contribue au progrès démocratique de la société. Dans une proposition du gouvernement au parlement suédois en 1998, on écrit entre outre: l'importance de l'éducation populaire est encore aujourd'hui une question de défendre, de vitaliser et développer la démocratie. L'instabilité de la démocratie, dans une perspective internationale, est évidente. Il s'agit du risque de manquer d'ancrage populaire, de la distance entre les électeurs et les élus et de l'impuissance devant un développement qu'on ne se sent pas capable d'influencer. Par suite de l'adhésion à l'Union Européenne, le procédé de décision suédois a été élargi au-delà des frontières nationales. Une série de droits et de devoirs nouveaux sont entrés en vigueur pour l'individu. Cette situation demande de nouvelles connaissances ». La survivance de la démocratie et sa vitalité doit se fonder sur une culture de démocratie avec le dialogue, la discussion et la participation comme facteurs importants. Elle doit aussi comporter la connaissance des valeurs, des conditions et des institutions nécessaires à la démocratie. […]

Le cercle d'études est le phénomène le plus typique de l'éducation populaire (suédoise). Il s'agit d'un petit groupe qui pendant une période de quelques mois se rencontre régulièrement, le plus souvent une soirée par semaine, pour étudier un certain sujet ou thème, ou bien pour assister à un événement culturel. Le plus souvent un cercle comprend de cinq à douze participants, dont un/e est le moniteur.

Les cercles d'études fonctionnent démocratiquement et se basent sur la responsabilité que les participants prennent dans leur travail. Le groupe planifie ses études en prenant égard aux besoins et intérêts de chacun. Une partie importante des études dans un cercle est l'échange d'expériences et d'idées entre les participants et les propres analyses des participants. 

 

Concrètement, SCATE a permis aux partenaires acteurs de ce projet (voir encadré n°2) issus de quatre Etats (Italie, Suède, France et Bulgarie)  de comparer leurs pratiques de pédagogies individualisées, de préciser leurs complémentarités, et de s’interroger sur la pertinence de telles hybridations. Pour ce faire, ont été mis en place les moyens :
- de faire circuler l'information entre ces différents réseaux et dans des réseaux susceptibles de transférer ces méthodes (séminaires, workshops et hand books),
- de repérer les expériences hybrides (explicites ou implicites) déjà existantes,
- d'examiner concrètement, via l’analyse des chartes par exemple, les compatibilités et les complémentarités des outils et méthodes propres à chacun.

 

Encadré 2 : les partenaires du projet SCATE

Le promoteur initial et coordinateur de SCATE est l'Administration provinciale de Gênes (Italie) qui, à travers son bureau des politiques de l'emploi et de la formation professionnelle, organise et entreprend des actions locales pour le développement des services d'emploi, de la promotion de l'emploi et de la formation professionnelle dont les bénéficiaires sont les chômeurs, les employés, les publics défavorisés, les femmes et toutes les personnes qui, dans leur vie active, recherchent activement une insertion sociale et professionnelle.

Les partenaires initiaux sont :

ASSOCIATION Znanie - Sofia, Bulgarie (association de professeurs, conférenciers, directeurs d'études à l'université, et divers spécialistes, dont le but est de créer des possibilités d'éducation extrascolaire et de qualification tout au long de la vie pour chacun en fonction de ses antécédents),

CITE DES METIERS de Paris. C'est la première "cité des métiers" implantée à la cité des sciences et de l'industrie dont les partenaires principaux sont des acteurs et des institutions des mondes de l'éducation, de l'emploi et des affaires en France.

CITTA DEI MESTIERI E DELLE PROFESSIONI di Genova, JOB CENTRE s.c.r.l. Cette entité établie à Gênes en 2001, possédée en majorité par la municipalité est détenteur du label "Cité des métiers" pour la zone métropolitaine de Gênes.

ABF Z, association de travailleurs suédois pour l'éducation populaire et la culture. ABF Z fait partie de l'organisation nationale ABF, qui est possédée par 54 organismes nationaux (ONG) dont les valeurs sont en accord avec le mouvement élargi des travailleurs suédois (ABF Z organise des cercles d'étude, des programmes de culture et d'éducation, de préférence pour les membres des organismes membres mais également pour d'autres groupes qui bénéficient des activités culturelles et d'éducation en groupe. ABF Z est impliquée dans le développement de méthodes de formation à distance qui conviennent particulièrement aux groupes cibles. ABF est membre d'IWEA, la fédération internationale des associations d'éducation ouvrière et, en Europe, d'EuroWEA).

2.      Tricoter et observer des hybridations

A terme, SCATE pourrait donc favoriser l'expérimentation de nouvelles hybridations et aider à leur évaluation, y compris par l'établissement d'un protocole commun de recherche pour l'avenir portant sur des thèmes transversaux, comme la question de la formalisation (cartographie des compétences, monnaies d'échanges).  Après un dernier colloque transnational à Gènes qui permettra de présenter les différents outils (site web et handbooks) produits, un projet de « LearnABbility Observatory  (LABO) pourrait succéder au projet SCATE dont le financement se terminera en Octobre 2006. Selon le mode de financement trouvé, ce LABO sera transnational ou simplement français (voir encadré 5).

Bien sûr, SCATE doit aussi permettre de peser le pour et le contre de cette idée d’hybridation. Dans un sens, on  est en effet tenté de penser que la construction et la gestion d'échanges de savoirs pourraient être facilitées par la création d'arbres de connaissances et par l'utilisation d'une banque de temps, voire par une contractualisation entre partenaires ou avec des financeurs ou des supports extérieurs. A contrario, on pourrait penser que chaque réseau a d’ores et déjà développé les outils dont il avait besoin et que l’importation d’autres méthodes aurait surtout pour effet d’alourdir les fonctionnements sans apporter de bénéfices.

Le réseau des Cités des métiers (CDM) et particulièrement la Cité des métiers de Paris se sont associés dès la conception à ce projet afin d’améliorer leur offre au niveau coopératif entre usagers (clubs, ateliers, cercles, cf encadré 3). Sur cet exemple, on peut voir  qu’une éventuelle hybridation CDM-CS ne peut se résumer à un transfert direct de méthode : la question n’est en effet pas simplement celle de juxtaposer un CS, un réseau d’échange réciproque de savoirs ou d’arbres de connaissances dans une CDM. Il s’agit surtout de voir comment peuvent se « tricoter »  de nouvelles pratiques, en se demandant par exemple : comment un cercle de recherche d’emploi peut-il utiliser ces méthodologie pour améliorer son action ? Comment des ateliers de confrontation d’expérience pour les plus de 45 ans peuvent-ils s’en servir ? Pour quoi faire ?

Un autre exemple de ces problèmes de « tricotage » concerne l’utilisation des arbres de connaissances (cf http://seek.arbor-et-sens.org/linkage ) par les SC ou les réseaux d’échanges réciproques de savoirs (RERS). Dans un premier temps, les promoteurs italiens pensaient à une complémentarité directe sous la forme de l’introduction des « arbres de connaissances » dans les SC pour organiser la formation coopérative. De fait, l’approfondissement des stratégies de constructions d’offres et de demandes de savoirs développées par les RERS a lancé le débat sur le risque d’une telle introduction d’outils formels, voire opaques dans de tels processus. Et finalement, il est apparu que, s’il était envisageable de faire appel à des stratégies de cartographie de connaissance pour donner une intelligence collective lors de la formulation des offres et des demandes, il fallait faire attention à ne pas perdre la lisibilité dans des outils trop opaques. Dans ce sens, des outils proches du métaplan ou des logiciels de notes heuristiques, du type de freemind (cf http://www.petillant.com) ont semblé des premiers pas qui pourraient ensuite donner l’envie de mettre en oeuvre une démarche plus sophistiquée. Ces stratégies seront décrites dans un handbook disponible avant l’été 2006.

 

Encadré 3 : Cités des métiers et projet SCATE

 

Les Cités des métiers (CDM) sont des espaces intégrés de conseils et de ressources au service de tous les publics (jeunes scolarisés ou non et adultes) en recherche de repères, d’orientation et d’information sur les métiers et la vie professionnelle. Elles ont pour mission d’aiguiller les usagers vers tous les moyens d’élaboration et de réalisation d’objectifs professionnels en offrant trois modalités d’usage : des entretiens sans rendez-vous, une documentation imprimée et multimédia en libre service et des ateliers, forums et autres journées d’information, Les CDM sont ouvertes à tous les publics quels que soit le statut, l’âge, le niveau d’étude ou de qualification, et sont d’accès libre et gratuit, 

 

Ce concept est né voici 13 ans, avec la création dans la Cité des sciences et de l’industrie (CSI) de La Villette de la première plate-forme proposant ce niveau d'intégration de services, de publics et de partenaires. En 1999, soit 6 ans après, ouvraient à Belfort, en Côtes d’Armor et à Nîmes trois équipements inspirés de cette expérience et labellisés par la CSI, suivis de peu par ceux de Milan et Gènes. Depuis, le réseau des CDM se développe à partir d’un cahier des charges (voir http://www.reseaucitesdesmetiers.org ) dans des  territoires diversifiés (métropoles comme Paris ou Barcelone, ou territoires plus ruraux comme l'Orne ou les Côtes d'Armor) et dans des contextes contrastés (pays très dotés en structures d'insertion et d'orientation comme la France ou vide de tels outils, comme le centre du Brésil).

 

Comme pour les autres lieux intégrés d’AIO (accueil, information et orientation), l’enjeu est d’aider jeunes et adultes à construire leur orientation professionnelle pour faire face aux multiples transitions qu’ils connaîtront tout au long de leur vie. S’agissant de donner l’envie et les moyens à chacun de gérer et prévoir au mieux son évolution professionnelle, deux questions se posent:

-comment aider une personne à se déterminer elle-même (lui apprendre à mieux se connaître, à s’orienter, à être autonome et à mieux s’intégrer avec les autres) ?

-comment l’aider en lui rendant accessibles les services qui lui sont nécessaires ?

 

Même si les CDM sont des lieux d’écoute et de reformulation, elles ont surtout travaillé jusqu’à présent sur la seconde question (aider à se repérer dans les outils à disposition pour se positionner, à évaluer ses ressources et ses priorités) avec cette particularité (que stipule la charte des CDM) que les moyens sont adaptés aux besoins individuels et que l’individu y trouve les moyens d’y voir clair à court terme mais aussi à plus long terme, qu’il est considéré dans sa globalité (une personne en devenir qui s’engage progressivement dans un projet) et qu’on suppose que l’individu qui s’y rend est volontaire pour être acteur de son orientation.

Elle ont donc surtout innové dans des dispositifs de médiation (expérimentant les « clefs d’accès », ateliers collectifs de recherche documentaire, l’acquisition de techniques de recherche d’emploi) en supposant que la mise en scène de pôles répondant aux préoccupation qui se posent aux usagers à différentes étapes de la vie constituent une invitation à se former et se perfectionner tout au long de la vie.

 

Sur la première question, les CDM ont travaillé à préciser les modalités d’entretien individuel de conseil « sur le flux » pour favoriser l’écoute et la reformulation ; elles ont également développé des offres de clubs, de cercles, d’ateliers, car les savoirs nécessaires pour s’orienter et réussir les transitions professionnelles ne se développent pas seulement dans des interactions individuelles : l’individu les co-construit dans ses interactions avec l’environnement. On acquiert des compétences d’orientation par  l’expérience d’où la nécessité de réfléchir aux situations qui permettent d’apprendre et de développer l’empowerment de l’individu.

 

C’est pour aller plus loin dans cette dimension de travail collectif que les CDM se sont investies dans le projet SCATE :

- Comment un individu peut trouver dans son environnement les moyens de recréer les conditions sociales propices à son apprentissage

- Comment peut-on créer des conditions favorables lorsque, pour un individu donné, cet environnement n’existe pas a priori.

- Comment favoriser le développement de dispositifs de régulation intermédiaire qui permette aux gens d’apprendre par eux-mêmes, à leur rythme en bénéficiant de l’aide des autres et en faisant bénéficier les autres de leur propres savoirs et acquisitions ?

 

 

3.      L’empowerment, un concept qui focalise sur l’objectif et les valeurs défendues

 

Par sa définition centrée sur l’empowerment, le projet SCATE se positionne dans une posture spécifique, focalisée sur un objectif  final et a donc le mérite de mettre en valeur les bénéfices attendus. De fait, il se démarque en cela de nombreux projets, séminaires ou mises en réseau qui se définissent par des méthodes (pédagogie personnalisée, échanges réciproques de savoirs, point d’accès à l’autoformation) ou des outils (cyberbases, EPN), voire des noms se révélant peu explicites à l’usage (Cités de métiers).

 

Certes, le signifiant « empowerment » présente en contrepartie le désavantage d’être jugé par certains comme un mot valise auxquels plusieurs substantifs français peuvent être associés : autonomisation, émancipation, voire par l’importation d’un « empouvoirment » à la québécoise. C’est pour résoudre cette ambiguïté que les partenaires français du projet ont entrepris un travail collaboratif inter réseaux pour clarifier leurs représentations en utilisant les outils des arbres de connaissances. (Voir encadré n°4). Le but de ce travail, actuellement en cours, est de pouvoir comparer des illustrations des bénéfices qui sont identifiés par les différents acteurs à cette transformation désignée par empowerment.

 

Ce que l’on peut d’ores et déjà dire sur ce point, c’est que les participants de SCATE emploie ce concept avec l’idée de l’exercice d’un pouvoir légitime, affirmé, regagné ou restauré et non dans un sens affaibli que certains praticiens des formations au management d’équipe ont pu lui attribuer récemment.

 

 

Encadré n°4 : mise en route d’une première cartographie de situations qualifiées d’empowerment individuel

 

Extrait de la fiche rédigée par C. Lebrun (réseau Arbor et sens) disponible sur
http://seek.arbor-et-sens.org/linkage//help/Fr/helpContext/arbor/Flyers/scate.pdf

 

Recueil de témoignages des bénéficiaires, des opérateurs, des témoins extérieurs

Chaque acteur désireux de participer à cette enquête peut témoigner en tant que bénéficiaire de ce qui l’a aidé à évoluer dans les différentes sphères de sa vie… En tant qu’opérateur, témoigner de ses propres pratiques… En tant que témoin extérieur de ce qui peut

Être constaté ici où là…

 

Production de cartes pour analyser les contenus

 

L’analyse des contributions par la cartographie aidera à distinguer les grandes tendances et les éventuels signaux faibles du champ de l’empowerment. La constitution de lexiques à partir des cartes permettra de constituer une proposition de référentiel commun en associant à chaque élément, le vocabulaire issu des témoignages

 

Méthode d’Élaboration d’un référentiel commun

1) Elaborer une méthode de repérage des pratiques d’empowerment à travers leur description et les bénéfices qui peuvent en être tirés.

2) Organiser une matrice d’indexation qui constituera une grille de positionnement des témoignages ultérieurs et une grille de lecture des cartes

3) S’appuyer sur les réseaux collaboratifs pour explorer le plus largement possible les champs couverts

4) En tirer un dispositif de collaboration pour en faire un observatoire dynamique, élaborer les scénarios de collaboration des acteurs intéressés

5) élaborer des scénarios d’exploitation de cet observatoire dans une perspective stratégique

 

4.      Dépasser le clivage entre temps subi et temps choisi qui écartelle l’éducation populaire

 

Touchant de multiples réseaux et lieux de coopération formative, SCATE concerne à la fois  activités se déroulant sur le temps libre et situations liés à la formation professionnelle, transcendant le clivage qui semble se généraliser entre deux amalgames : loisirs, temps choisi et inutilité professionnelle d'un côté et travail, formation professionnelle, travail et temps subi d'autre part.

 

En effet, historiquement, ce clivage entre ces deux amalgames s'est construit progressivement en parallèle avec l’avènement des loisirs lié à la réduction progressive du temps de travail. Dans son ouvrage « le sacre des trente cinq heures », Jean Viard reprend les chiffres de la DATAR et ceux de Françoise Potier de l’INRETS (2002) pour souligner que si le temps de travail sur une vie était encore de 120 000 heures en 1948, il est tombé à 63000 heures avec les 35 heures. Il a ainsi baissé de 45% à aujourd’hui 11% sur la durée d’une vie. « De plus en plus, l’essentiel des relations sociales et personnelles se développe hors du monde du travail. La vie sociale qui, hier encore, était dominée par les rythmes de travail, s’est progressivement structurée autour des rythmes de temps libre, de loisirs, de vacances »[12]. Certains militants convaincus de l’éducation populaire (Dumazedier, 1988) ont alors pensé que ce temps libre gagné,  allait pouvoir être mis au service de l’épanouissement personnel, en particulier par l’autoformation et donc l’acquisition de savoirs émancipateurs.

 

Les dernières enquêtes françaises  (Maresca, 2004) sur l’utilisation des temps gagnés montrent a contrario «que l’accroissement du temps libre ne conduit pas à une réorganisation de la structure des loisirs mais plutôt à l’intensification de pratiques existantes pour ceux qui en ont les moyens financiers. […] Aujourd’hui, l’idée selon laquelle les heures ou les journées gagnées grâce à la RTT pourraient favoriser l’émergence d’un temps social spécifique – celui des activités, y compris de repos, choisies et pratiquées pour l’épanouissement personnel, par besoin de désaliénation, contre le professionnel et contre le domestique –, reste une utopie ».[13] Sur ce point le tableau ci-dessous, est édifiant.

 

% des salariés bénéficiaires de la RTT disant consacrer, grâce à elle, plus de temps à telle ou telle activité

 

Vous reposer, dormir                                                                                                       47% 

Vous occuper de votre famille, de vos enfants                                                                    45 %

Bricoler, jardiner                                                                                                              41 %

Recevoir des amis, de la famille ou leur rendre visite                                                           34 %

Aller dans les magasins, faire les courses                                                                         33 %

Regarder la télévision                                                                                                       31 %

Accomplir les tâches ménagères (cuisine, ménage, rangement, linge, ...)                             27 %

Sortir au cinéma, au spectacle, au restaurant                                                                     23 %

Pratiquer une activité sportive                                                                                            20 %

Partir en voyage                                                                                                               16 %

Avoir des activités artistiques ou créatives (dessin, musique, écriture…)                               11 %

Vous investir dans une association                                                                                    10 %

 

Source : CREDOC - Enquête « Conditions de vie et Aspirations des Français » - juin 2002

Champ : Salariés bénéficiant de la RTT, soit 26 % de la population

 

Sans doute pour le comprendre, faut-il avoir en tête deux autres facteurs simultanés à la réduction du temps de travail : l’entrée en vigueur de la loi sur la formation professionnelle continue ainsi qu’un indéniable formatage et marchandisation des loisirs.

 

L’application de la loi de 1971 sur la formation professionnelle aurait créé chez nos concitoyens un amalgame entre développement de compétences et gestion des ressources humaines ; il aurait  eu pour effet  de faire assimiler éducation permanente avec formation "professionnelle" continue payée par le patronat. Fabienne Berton[14]  affirme ainsi que cette loi «a rendu la formation continue entièrement dépendante du travail (ou de son absence, ce qui revient au même). Tout ce qui n'est pas rattaché à un statut professionnel ou au domaine du travail a ainsi été évacué de la définition de la formation. Cette conception a conduit à marginaliser ou à transformer des pratiques antérieures comme l'Éducation populaire ou la Promotion supérieure du travail (le Conservatoire des arts et métiers et les Instituts de promotion supérieure du travail), les cours d'alphabétisation ou les cours municipaux24 qui ne reposaient pas sur les mêmes prémisses.»

 

Par ailleurs, de multiples auteurs ont mis en évidence la standardisation et la marchandisation des loisirs qui s’est opérée dans le même temps, comme par exemple Jacques Demeulier au congrès des CEMEA 2005, « Si les temps libérés peuvent être porteurs de valeurs positives, ils sont aussi porteurs d’inégalités. Ils sont un espace de marchandisation des loisirs, d’hyperconsommation, de formatage des pratiques et des esprits ».

 

Pour la France il en résulte aujourd'hui que l'utopie de l'éducation populaire des adultes qui justement s'inscrivait dans une logique d'empowerment des individus se fissure. Elle en est réduite à se séparer en deux parties distinctes emportées par cette tectonique des plaques.  Liée au temps du travail se consolide la "formation tout au long de la vie" tandis que du côté des loisirs s'instaure un marché d'activités dites « épanouissantes » sur catalogue. Voilà donc d’une part, l'éducation permanente devenue une formation professionnelle continue qui bascule dans le temps subi, tandis que, d’autre part, les congés payés ont été absorbés par le marketing et la société des loisirs, celle du temps dit choisi qui de fait est devenu dominé par l'omniprésence des discours d'économie de marché... Idem pour les logiques culturelles d'Etat, qui se sont vite transformées en organisation des parts de marché (comme l'illustre fort bien le partage des canaux de télévision, y compris ceux de la TNT qui finalement n'ont laissé aucune place pour des TV formatives).

 

Plus sont inventées et instaurées comme normes de multiples propositions de loisirs de délassement et de divertissement, moins il est facile de choisir de faire de son temps libre un temps de développement « par l’effort ».  A moins d’avoir clairement conscience de ce que l’on peut y gagner. D’où l’importance du moteur et de la preuve de l'utilité des savoirs en terme de promotion sociale ou de reconnaissance. On pourrait certes penser au seul plaisir du « gai savoir »… Mais l’apprenance confronte souvent au souvenir de l’apprentissage de l’école subi majoritairement dans la souffrance. Ainsi, l’affichage clair de la volonté transversale d’empowerment que réalise le projet SCATE nous parait un moyen de dépasser ce clivage, ce qui peut avoir un double mérite.

 

Le premier est lié à l’objectif même de SCATE : renforcer le développement des réseaux qui se situent dans une logique hybride, entre autodidaxie et formation instituée, comme les RERS, les points d’accès à l’autoformation (P@T) ou autres APP. En effet, ces réseaux semblent s’étendre à peine plus vite dans de nouveaux endroits qu'ils ne s'étiolent ailleurs : leur percolation est plus que laborieuse, indiscutablement subordonnée aux financements des institutions porteuses mais plus encore aux hasards des implications individuelles ; réseau par réseau, nous voyons bien les promoteurs confrontés au fait que les bénéfices socio pédagogiques de ces outils en compensent à peine les complexités technocratiques et organisationnelles.

 

Le second serait de favoriser plus d’usages des lieux non formels de savoirs (musées, centres culturels, cyberbases, espaces télévisuels...) pour développer consciemment  des connaissances ou des compétences communiquant avec celles de la vie professionnelle. En effet, il n'y a peut-être que les bibliothèques publiques et les P@T qui voient se développer quelques usages formatifs en lien avec une reconnaissance socio-économique... mais en tout cas pour de très faibles fractions de la population. Ainsi donc, même si les lieux publics à vocation culturelle sont cités dans de multiples déclarations d’intention parmi les cadres les plus propices à l'éducation tout au long de la vie, force est de constater qu’ils n’apparaissent que bien peu décrits dans le détail des pratiques par les tenants de la « formation tout au long de la vie » instituée. Certes, il existe des témoignages et histoires de vie d’autodidactes et de situations d’autoformation, mais ils insistent systématiquement a contrario sur le caractère atypique des cas qu’ils décrivent.

 

Ainsi, malgré une indiscutable maturité idéologique et technique, la société de l'apprenance n'en est qu'au stade du balbutiement social. Alors que les déclaration d’intentions ont envahi le paysage, la généralisation des pratiques se fait largement attendre. Cela est par exemple observable au travers de trois grands écarts entre les discours prospectivistes et la réalité des usages : le premier concernant la faible mobilisation de la VAE, le deuxième le faible développement des réseaux de lieux proposant des accès nouveaux à la formation et le troisième le faible usage des lieux culturels en relation avec le monde de la formation instituée.

 

Pire encore, peut même l’utopie d’une société de l’apprenance pour tous recule-t-elle déjà sous les assauts d’une triple volonté de marchandisation de toute activité, de normalisation de toute utopie et de rentabilisation de tout investissement. En affirmant haut et fort l’ambition de l’empowerment comme une priorité, en montrant la force de l’expérience suédoise et la richesse et la complémentarité des multiples réseaux, SCATE propose peut être un moyen de contribuer à renverser ce déclin programmée de l’éducation populaire…

 

 

Encadré 5 : Scate et ses premiers effets en France

 

En France, la CDM a associé au projet SCATE,  plusieurs réseaux, en particulier ceux des Cités des métiers, des APP, des échanges réciproques de savoirs, des arbres de connaissances, des espaces publics numériques ainsi que le mouvement français des exposciences (CIRASTI http://www.cirasti.org ) qui réunit les principaux mouvements d’éducation populaire intéressés par la découverte scientifique et technique pour tous.

 

Ce travail inter réseaux a d’ores et déjà eu plusieurs conséquences, certaines attendues, d’autres moins. Dans le registre des effets attendus, on peut citer des présentations et discussions des logiques fondatrices de SCATE dans cinq séminaires nationaux thématiques issus de ces différentes organisations (cf http://www.scate.info ) ainsi que la publication des handbooks conformément aux intentions initiales de ce projet..

 

Au registre de l’inattendu est surtout à signaler la création d’un cercle[9] d’étude inter-reseaux qui s’est réuni à plusieurs reprises, à la fois pour clarifier l’interprétation française du mot empowerment (cf encadré 3) mais aussi pour définir la cahier des charges d’un futur observatoire des pratiques d’empowerment et de leurs hybridations.

 

Ce cercle a par exemple permis une confrontation très riche entre les méthodologies de échanges réciproques de savoirs et des arbres de connaissances,  rapprochement qui n’avait jamais pu se faire, malgré une proximité intellectuelle très affichée lors de l’invention en 1992 du concept des outils des arbres.

 

 

 

 

 

 

Bibliographie sommaire :

 

AUTHIER, Michel, LEVY, Pierre, Les arbres de connaissances, Ed La Découverte, 1992

 

BERTON, Fabienne, La demande individuelle de formation en cours de vie active et ses particularités institutionnelles françaises, CNAM, Cahier du Lasmas 01-1

http://lasmas.iresco.fr/cahiedoc/c011_Berton.pdf

 

CARRE, Philippe, L’apprenance, vers un nouveau rapport au savoir, Dunod, 2005

 

CORBIN, Alain, L’avènement des loisirs, 1850 – 1960, Aubier, 1995

 

DUMAZEDIER, Joffre, Révolution culturelle du temps libre, Méridiens Klincksieck, 1988

DUMAZEDIER, Joffre, Penser l'autoformation : société d'aujourd'hui et pratiques d'autoformation, Lyon: Chronique sociale, 2002,

 

HEBER-SUFFRIN, Claire et Marc, Le cercle des savoirs reconnus. Ed. Desclée de Brouwer, 1993.
HEBER-SUFFRIN, Claire et Marc,  Echanger les savoirs Ed. Desclée de Brouwer,  1992. HEBER-SUFFRIN, Claire,  BOLO, Sophie, Echangeons nos savoirs Ed. Syros, 2001.

 

MERESCA, Bruno et al. Occupation du temps libre, une norme de consommation inégalement partagée, CREDOC, cahier de recherche n°210, novembre 2004

http://www.credoc.fr/pdf/Rech/C210.pdf

 

TETARD Michel, CARRE Philippe, Les ateliers de pédagogie personnalisé ou l'autoformation accompagnée en actes, Coll. savoir et formation, Ed. L’HARMATTAN, 2003

 

 



[1] Toutes les informations et tous les contacts vers ses réseaux sont disponibles sur le site du projet : http://www.scate.info et sur la page de la Cité des métiers de Paris à :

 http://www.cite-sciences.fr/francais/web_cite/informer/tec_met/scate-seminaire.htm

[2] HEBER-SUFFRIN, Claire,  BOLO, Sophie, Echangeons nos savoirs Ed. Syros, 2001.

[3] AUTHIER, Michel, LEVY, Pierre, Les arbres de connaissances, Ed La Découverte, 1992

[4] TETARD Michel, CARRE Philippe, Les ateliers de pédagogie personnalisé ou l'autoformation accompagnée en actes, Coll. savoir et formation, Ed. L’HARMATTAN, 2003

[5] CORBIN, Alain, L’avènement des loisirs, 1850 – 1960, Aubier, 1995

[6] BERTON, Fabienne, La demande individuelle de formation en cours de vie active et ses particularités institutionnelles françaises, CNAM, Cahier du Lasmas 01-1

[7] DUMAZEDIER, Joffre, Révolution culturelle du temps libre, Méridiens Klincksieck, 1988

[8] MERESCA, Bruno et al. Occupation du temps libre, une norme de consommation inégalement partagée, CREDOC, cahier de recherche n°210, novembre 2004

[9] associant C. Heber-Suffrin, B . Thomas, M. Authier, C. Lebrun, M. Tetard, J. Kaplan  et O. Las Vergnas et une vingtaine d’autres acteurs français