L'orientation progressive et prospective à l'université : quelles compétences à développer ?

 

Cités des métiers : le pour et le contre d’une approche intégrée de l'orientation tout au long de la vie

 

Document de travail, Mars 2006,

 

Olivier Las Vergnas, Délégué à l'insertion et la formation de la Cité des sciences et de l'industrie. Secrétaire Général du Réseau des Cités des Métiers

Bernadette Thomas, Chargée du Label "Cité des métiers", Cité des sciences et de l'industrie.

 

Un rythme paradoxal de développement du réseau

 

Le concept de Cité des métiers (CDM) est né voici 13 ans, avec la création dans la Cité des sciences et de l’industrie (CSI) de La Villette de la première plate-forme proposant ce niveau d'intégration de services, de publics et de partenaires. En 1999, soit 6 ans après, ouvraient à Belfort, en Côtes d’Armor et à Nîmes trois équipements inspirés de cette expérience et labellisés par la CSI. Depuis, le réseau des CDM se développe d'une manière paradoxale : certes,  ce concept et le cahier des charges qui le définit (voir http://www.reseaucitesdesmetiers.org s'adaptent à des territoires très diversifiés (métropoles comme Paris ou Barcelone,ou territoires plus ruraux comme l'Orne ou les Côtes d'Armor) et à des contextes contrastés (pays très dotés en structures d'insertion et d'orientation comme la France ou vide de tels outils, comme le centre du Brésil), mais le rythme de développement n'est que d'une à deux CDM en France et à peine plus à l'étranger par an. Vu l'adaptabilité du concept, on peut s’en étonner : soit de telles plates-formes se sont révélées utiles et leur mise en place devrait se généraliser, soit le jeu n'en vaut pas la chandelle et alors, le réseau devrait se tarir. De fait, si l'on observe un tel « entre deux » et une progression certes continue, mais toujours mesurée, c'est sans doute que les nombreuses difficultés qui freinent la mise en place des Cités des métiers sont à peine compensées par les vertus qu'elles procurent.

 

Quatre obstacles à la mise en œuvre des Cités des métiers

 

Butter sur la fragmentation des responsabilités territoriales

Les cités des métiers naissant d’initiatives locales, l'engagement  d'au moins une collectivité territoriale est indispensable au rassemblement et à l'adhésion des partenaires. Outre la légitimité qu’il apporte, il garantit aussi un soutien financier le plus souvent vital pour le projet. Mais de fait, les CDM mélangent emploi, orientation, action sociale et concernent donc toutes les échelles territoriales qui se partagent ces responsabilités. Il en résulte des difficultés d'ordre politique à faire y coïncider les intérêts de l'Etat, de la région, du département et du niveau local. De plus, le souci d’équité qui anime les assemblées régionales peut ainsi être un frein car les CDM ne peuvent prétendre couvrir de la même façon tout le territoire d’une région. Inversement dans un territoire trop petit, le projet aura des difficultés à réunir les compétences nombreuses et variées nécessaires au bon fonctionnement.

 

Se heurter à nécessité de résultats à court terme.:

Vouloir faire travailler ensemble des acteurs qui n'ont pas l'habitude de se parler, même s’ils œuvrent  sur le même territoire, n'est pas chose simple. C’est d’autant plus vrai lorsque leurs univers sont aussi différents que ceux de l'éducation initiale, de l'emploi et de l’évolution professionnelle. Quand de surcroît ces acteurs n'ont pas le même rapport aux échéances, les complémentarités n'en sont que plus difficiles à marier. Certains sont poussés par leurs électeurs ou leurs tutelles à fournir des solutions immédiates, tandis que d’autres travaillent à l’échéance d’une génération. Or, créer une CDM c’est accepter d’être tout à la fois dans le temps long de la construction sociale et  dans l'urgence du chômage.

 

De manière symétrique, on retrouve la même difficulté du côté de l'usager d’une CDM. Venu souvent pour trouver une réponse au problème du moment, il découvre que pour le résoudre, il lui faut sortir de l’horizon à court-terme pour se placer dans une perspective de développement de ses compétences qui demande de réfléchir à son choix de vie et à sa gestion de carrière.

 

Se confronter à tous les critères de la charte CDM

Les critères qui définissent les CDM (voir encadré) et sous-tendent la plus-value qu’elles apportent à leurs utilisateurs, sont loin d’être simples à assumer au quotidien. Ainsi, le décloisonnement des publics amène les professionnels à remettre en cause leurs pratiques traditionnelles et leurs modes de fonctionnement habituels ce qui peut leur faire craindre une perte ou un dévoiement de leur professionnalisme. Depuis le sommet européen qui s’est tenu en 2000 à Lisbonne, la prise de conscience par les politiques et les professionnels de la nécessité d’une vision plus globale de l’orientation et de la formation tout au long de la vie a contribué, tout au moins en théorie, à lever ce frein.

 

Parmi les critères, l’anonymat réciproque est celui qui apparaît comme le plus contraignant. Cette  question a toujours posé problème ; aujourd’hui, c’est un des points de vigilance mis en relief avec l’actualité des Maisons de l’emploi impulsée par l’Etat. Dans un contexte où prédominent la culture de l'évaluation et la crainte de la dilution des responsabilités, les institutions partenaires des CDM ne voient pas toujours l'intérêt d'opérer dans un cadre où la visibilité de leur action par les bénéficiaires comme par les tutelles n'est pas évidente. Un autre aspect de l’anonymat est aussi mis en cause : l'évaluation de la « rentabilité » du système est difficilement mesurable si l’on s’interdit de « suivre » l'usager dans l'utilisation des ressources mises à sa portée. Cet obstacle n’est pas insurmontable puisque quatre des cités françaises ont d’ores et déjà trouvé le moyen de développer des synergies en s’associant à des maisons de l’emploi.

 

Reconstruire en permanence un partenariat mouvant qui bouleverse les identités

Les CDM reposent sur la complémentarité et la coopération d'acteurs aux domaines de compétences divers qui décident de mutualiser leurs ressources.  Comme la volonté politique ne suffit pas à faire vivre le partenariat, encore faut-il le coordonner et l’animer. Or, les CDM sont en permanence en recherche d'équilibre entre les attentes des différents partenaires. La fragilité de la structure partenariale, toujours soumise aux aléas et aux évolutions de l'environnement, en rend le pilotage délicat. La complexité du montage partenarial et la flexibilité des assemblages induisent une difficulté à mettre en place des instances de décision adéquates qui permettent le maintien d’un « équilibre dynamique » garant de la pérennité du système. Cette difficulté est renforcée lorsque les CDM sont appelées à participer à d’autres structures, fédératrices elles aussi, comme c’est le cas aujourd’hui avec les Maisons de l’emploi en France.

 

… compensés par des atouts inédits pour l’usager

 

Apporter outils et  médiations complémentaires dans un processus d'apprentissage de l'autonomie

La variété et l'étendue de la documentation sont les conditions indispensables pour que le public puisse se faire sa propre opinion, découvrir des informations qu'il ne connaissait pas et ouvrir, par là-même, de nouvelles pistes d'orientation, d'insertion et de formation. Mais sans la médiation humaine des conseillers, tout ceci pourrait se réduire à la juxtaposition d'une multiplicité d'outils difficilement accessibles, de surcroît, aux publics les moins autonomes. C'est l'interaction entre conseil et ressources qui va favoriser un processus d'apprentissage fondé sur une démarche alternant recherche autonome dans l'espace des ressources et accompagnement dans l'espace de conseil.

 

Donner l'opportunité de gérer ses questions et son temps selon ses propres rythmes

La Cité des métiers est centrée sur la demande, la question, le problème de l'usager. Celui doit pouvoir ouvrir sa problématique, lui redonner un sens et s'approprier une stratégie d'action grâce à l'information et au conseil les plus larges de manière à éviter l'orientation « par défaut » et la démotivation. L'espace fonctionne sans rendez-vous imposé : ce qui compte c'est le temps de l'usager, l'urgence de sa question ou le respect de l'étape qu'il est venu franchir. Devenir plus acteur de sa vie professionnelle suppose, pour l'usager, un parcours, des temps de réflexion, un cheminement personnel nécessitant de multiples supports et contenus adaptés aux différentes étapes de la vie professionnelle et notamment pour les jeunes la possibilité de faire un bilan de leurs acquis, de leurs intérêts et de leurs aptitudes.

 

Permettre l'identification des prestations comme des solutions aux ses propres préoccupations

Dans les Cités des métiers, la mutualisation des ressources est une pratique quotidienne des conseillers pour répondre aux questions concrètes des publics au sein des pôles de conseil. Des prestations différenciées selon les publics sont offertes dans un même lieu, mais à la différence des "guichets uniques" traditionnels, ces prestations ne sont pas organisées par institutions ou par mesures, mais en fonction des préoccupations du public. Par exemple, on y trouve un pôle « changer sa vie professionnelle » et non « VAE » ou « DIF », encore moins « CIBC », « AFPA », »DAVA ». Il résulte aussi de ce mode de fonctionnement une mutualisation du travail réalisé en « back office » pour répondre mieux ensemble aux demandes des personnes et aux évolutions de leurs attentes.

 

Dans un espace Cité des métiers, on doit pouvoir venir et revenir à différentes étapes de maturation de ses choix professionnels pour s'informer sur les dispositifs existants, choisir une prestation en connaissance de cause ou rebondir vers d'autres prestations. Les services se situent donc en complémentarité des SCUIO et autres institutions spécialisées dans le champ de la vie professionnelle et peuvent proposer un aiguillage ou un ré aiguillage vers des prestations délivrées par celles-ci. En faisant se croiser les missions des différents organismes, elle favorise une meilleure prise en compte des liens. Enfin, la Cité des métiers est ouverte à toutes les démarches, que l'entrée soit une question clairement formulée, ou un problème exprimé par ceux qui ne savent plus quelle question poser, tant ils sont en décalage par rapport aux règles du jeu, et donc par rapport aux dispositifs existants.

 

… et le lien entre orientation des jeunes et évolution professionnelle des adultes

 

Mais, au-delà de ces quatre vertus, les CDM sont les seuls lieux d'orientation tout au long de la vie conçus pour être communs aux jeunes scolarisés ou non et aux adultes occupés ou non . En permettant le développement d’un dialogue inter-générationnel sur les choix d'orientation, cette intégration présente des avantages pour les uns comme pour les autres.

 

En ce qui concerne les jeunes, elle favorise une prise de conscience des difficultés d'accès ou de maintien dans l'emploi à tout âge et encourage ainsi à se préoccuper des possibilités futures d'insertion lors un choix d'orientation. Elle leur permet d'identifier des lieux ressources et des structures susceptibles de les aider à s'intégrer sur le marché du travail. De plus, elle  les familiarise aux techniques de recherche d'emploi  et leur donne accès à une palette d’outils pour améliorer leur connaissance du marché du travail.

 

Pour tous les publics, elle permet la dédramatisation des situations de réorientation souvent vécues comme un échec, notamment par les étudiants et les jeunes, en offrant une meilleure connaissance des différentes voies de formation (apprentissage, formation continue) et de validation ;  elle conduit à mettre en perspective réflexions à court terme et à long terme, gestion de ses compétences et anticipation professionnelle, améliorant la lisibilité du lien entre formation, emploi, insertion professionnelle. Enfin, elle facilite les transitions dans la vie des individus en favorisant des stratégies davantage en prise sur le monde économique et tenant compte des choix de vie.

 

Ainsi, plus généralement, une des idées force sous-jacente aux "Cités des métiers" est d'éviter le saucissonnage des différentes situations de pilotage de sa vie professionnelle. Du point de vue des promoteurs d'un tel concept, 13 ans après, on peut regretter de ne voir ce concept que sur quelques territoires. En tant que citoyens, on peut juste regretter le caractère inéquitable du résultat. Paradoxalement, bien qu’elle ajoute un élément de complexité à un pilotage qui l’était déjà, l’émergence des MDE semble aujourd’hui renforcer l’attrait pour le concept de CDM. N’est-ce pas finalement parce que le concept donne de la cohérence à des politiques qui ont du mal à se coordonner ?

 

Dans les CDM depuis de nombreuses années, on a développé une ingénierie spécifique de l’orientation, respectueuse de l’autonomie de la personne et s’appuyant sur sa participation active au processus d’orientation. La recrudescence d’intérêt pour ce concept aujourd’hui ne tiendrait-elle pas au fait qu’il se positionne dans un juste milieu, apte à faire converger intérêt individuel et intérêt collectif,  à la fois résistant à la pression du marché du travail et à la recherche exclusive d’adéquation, et à la fois permettant à l’individu de replacer ses aspirations dans une démarche stratégique de gestion de sa vie personnelle et professionnelle ?

 

Encadré : critères de labellisation d’une cité des métiers :

 

Une Cité des métiers se définit comme un lieu ouvert en accès libre et gratuit à tous les publics, (jeunes scolarisés ou non, adultes actifs ou non), multi-partenaires et permettant toutes les modalités de consultation et d'information, à savoir des entretiens sans rendez-vous avec des conseillers, une documentation imprimée et en ligne ainsi qu’une offre d’ateliers, de forums et de journées thématiques. Elle doit traiter tous les aspects de la vie professionnelle, et tous les secteurs et être organisée sous forme de pôles de conseils centrés sur les questions des usagers.