[ retour à la une du réservoir d'Olivier Las Vergnas ]

Cités des métiers :

regards sur l'appropriation du concept au delà de nos frontières.

Article pour le dossier "transfrontalier" de la revue « Personnel » (ANDCP), juin 2006

Bernadette Thomas et Olivier Las Vergnas,
Cité des métiers de la Cité des sciences et de l’industrie

1. Un concept né voici 13 ans à Paris et devenu depuis transnational

En 1993, naissait au sein de la Cité des sciences et de l'industrie une plate-forme d'information et de conseil en matière d'orientation, d'insertion et d'évolution professionnelle : la Cité des métiers. L'idée était simple : répondre dans un même lieu à tous les publics, quels que soient leur statut et leur âge sur les questions liées à leur avenir professionnel tout au long de leur vie.

Fréquentée dès son ouverture par un millier d'utilisateurs chaque jour, la Cité des métiers intéresse alors des acteurs de l'insertion souhaitant s'inspirer de cette expérience, qu'ils jugent transférable sur leurs territoires, comme à Nîmes ou dans le Calaisis. Ceux-ci suggèrent la mise en place d'un label qui affirmerait et garantirait une conception commune de l'accueil et du conseil aux publics : à partir de 1999 ouvrent ainsi des plates-formes labellisées "Cité des métiers". Les trois premières seront françaises (Belfort, Nîmes, Côtes d'Armor) et la quatrième, italienne à Milan à l’initiative d’enseignants de psychologie  dans le but de professionnaliser la fonction d'orientation en l’élargissant à la "formation tout au long de la vie" et à la connaissance du marché du travail.

Depuis le développement se poursuit, adossé au même cahier des charges, sous la forme d'une franchise gratuite  (cf http://www.reseaucitesdesmetiers.org ). Le "Réseau des cités des métiers", constitué en association en octobre 2001 se densifie sensiblement à la même vitesse en France et à l'étranger, mais plus particulièrement en Italie où l'on compte aujourd'hui six plates-formes labellisées (Milan, Gênes, Cagliari, Tarente, Trévise, Vérone) (1). Avec une Cité des métiers ouverte au Brésil, un projet labellisé en République de Maurice et des volontés fortes au Chili et au Viet-Nam, ce réseau dont l’actuelle présidence est espagnole dépasse aujourd'hui les frontières de l'Europe. Pour autant la mise en place de telles plates-formes ne se fait pas sans difficultés: sur cinq projets, un seul parviendra au stade de la labellisation. Une grande persévérance est nécessaire pour faire que les bénéfices attendus de la mise en place d'une Cité des métiers finissent par débloquer les freins à la mutualisation (2), (3). Deux obstacles majeurs se retrouvent en France comme dans la plupart des autres pays, le premier étant le cloisonnement des publics, et en particulier la très grande résistance à s'intéresser conjointement à la scolarité et au monde du travail, le second étant l'incontournable difficulté à investir des moyens pour le long terme, à savoir pour l'éducation des choix et l'empowerment des personnes.

2. Similarités et différences de part et d'autre des frontières

Construire une Cité des métiers consiste à fédérer les acteurs d'un territoire autour de valeurs qui ont une portée universelle et se traduisent concrètement par la volonté de donner à chacun l’envie et les moyens de choisir sa vie professionnelle plutôt que de la subir  en proposant accueil, conseils et outils pertinents. Ce processus  peut être mis en œuvre dans la plupart des pays qui se préoccupent  de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Bien sûr, le portage et la conception s'appuieront  sur des partenaires locaux dont le découpage, la formalisation et les moyens dépendent très largement du contexte. Il en va de même pour la formulation des préoccupations des publics dont le découpage conduira à un nombre variable de pôles de conseil avec des dénominations adaptées en fonction des particularités socio-économiques des territoires.

Derrière ces variations d'intitulés et de la répartition des compétences entre partenaires, ce sont les mêmes questionnements des institutions et des personnes que l'on retrouve dans les CDM, à l’intérieur comme au-delà des frontières. Par contre, des différences majeures apparaissent quant à la dotation des pays en termes d’outils d'information d'une part et d’instruments d'évolution d'autre part : la préexistence ou non d'outils d'insertion et d'orientation (descripteurs de métiers, bases d'offres d'emploi et service public de l'emploi) et l'existence ou non de dispositifs favorisant la formation tout au long de la vie (équivalent de nos VAE, CIF, DIF ou autres bilans de compétences) sont cruciales pour le bon fonctionnement d'une CDM. De fait, il sera toujours possible pour une Cité des métiers (à condition d'en trouver les financements et les partenariats) de palier le premier manque et de produire, comme à Barcelone par exemple les outils d'information et de description manquants; en revanche il sera plus difficile de faire levier sur le manque de réel instrument de gestion prévisionnelle des emplois et compétences d'un territoire, sauf si la CDM est créée sciemment par les autorités dans ce but, comme cela devrait être le cas à Maurice, et peut-être à Santiago : voilà qui reviendrait enfin à concevoir les instruments de qualification et de gestion de carrière en même temps qu'un réel système de conseil à tous.

3. Une dimension transnationale qui apporte surtout en terme de mise en perspective

Si la faible densité du réseau ne lui permet pas de produire directement l'information transnationale utile à chacune des CDM, son rôle est de diffuser en toute impartialité l’information produite par des réseaux comme Eures. De fait, pour nous Français, la dimension transnationale a principalement permis deux apports : d'une part, elle a contribué à la formalisation du label et du concept, en obligeant à le regarder et surtout le décrire dans d'autres langues et cultures ; d'autre part, elle a permis d'élargir la réflexion grâce à des travaux communs à une ou plusieurs CDM dans des projets européens  généralisant les valeurs défendues dans le réseau , à savoir soutenir l'équité d'accès au travail (pour certains publics -comme les projets Gender News et Extracompetence- ou par un meilleur repérage des métiers et compétences comme le projet du ROME en Sardaigne) et à la "formation tout au long de la vie" ou comme avec le projet SCATE, l"empowerment" (au sens d’émancipation, cf (4)) des personnes vis-à-vis de leur avenir professionnel (orientation choisie en connaissance de cause, éducation des choix). Cette logique prévaut aussi au sein du réseau national à l’instar du projet français Equal favorisant le maintien et le retour à l'emploi des plus de 45 ans.

4. Vers des Cités des métiers vraiment transfrontalières.

Plusieurs CDM (Nord-Franche Comté à  Belfort et Montbeliard,  Haute Normandie) ont intégré la dimension transfrontalière dans leurs activités régulières (permanence Eures et ateliers spécifiques). La République de Maurice nourrit l’ambition d’une CDM qui faisant école dans l’Océan indien développerait un réseau de partenaires. Une intégration forte a été au centre de  projets qui n'ont pas pu aboutir, comme le Calaisis ou Bruxelles, mais de nouveaux sont en pleine actualité, comme celui du Pays Basque et sans doute prochainement celui d'Annemasse. Une des spécificités des CDM est de construire offre et projet à partir des préoccupations réelles des publics et le moins possible de tel ou tel découpage institutionnel ou politique. Par construction, elles se définissent donc en fonction des bassins d’emploi et de vie effectifs des habitants. Gageons que cela facilitera aussi la mise en place de services transnationaux pertinents en termes d’outils et d’échelle.

1. Malgré cela nous avons fait le choix de  développer un réseau maillé de pôles plutôt qu’une structure pyramidale par pays, pensant que les échanges points à points devaient être autant favorisés que les échanges pays à pays.

2 . O. Las Vergnas, C. Estienney, Favoriser les parcours de formation par l’information et l’orientation : marier les labels pour agir à plus long terme, à paraitre dans Actualité de la formation permanente, Centre Inffo, Saint Denis, 2006,

3. O. Las Vergnas, B. Thomas : Cités des métiers : le pour et le contre d’une approche intégrée de l'orientation tout au long de la vie, in Actes des journées SCUIO, [Francis Danvers, Dir], Lille, 2006

4. O. Las Vergnas,  B. Thomas, Mise en perspective de pratiques complémentaires d'autoformation émancipatrices :
échanges de savoirs, arbres de connaissance et pédagogies personnalisées - SCATE, in Colloque Autoformation, ENFA, Toulouse 2006 cf : http://www.enfa.fr/autoformation/rub-comm/pdf/lasvergnas.pdf

Site du projet scate : http://www.scate.info

Encadré : Qu’est ce qu’une Cité des métiers ?

 Les Cités des métiers (CDM) sont des espaces intégrés de conseils et de ressources au service de tous les publics (jeunes scolarisés ou non et adultes) en recherche de repères, d’orientation et d’information sur les métiers et la vie professionnelle. Elles ont pour mission d’aiguiller les usagers vers tous les moyens d’élaboration et de réalisation d’objectifs professionnels en offrant trois modalités d’usage : des entretiens sans rendez-vous, une documentation imprimée et multimédia en libre service et des ateliers, forums et autres journées d’information, Les CDM sont ouvertes à tous les publics quels que soit le statut, l’âge, le niveau d’étude ou de qualification, et sont d’accès libre et gratuit,

Ce concept est né voici 13 ans, avec la création dans la Cité des sciences et de l’industrie (CSI) de La Villette de la première plate-forme proposant ce niveau d'intégration de services, de publics et de partenaires. En 1999, soit 6 ans après, ouvraient à Belfort, en Côtes d’Armor et à Nîmes trois équipements inspirés de cette expérience et labellisés par la CSI, suivis de peu par ceux de Milan et Gènes. Depuis, le réseau des CDM se développe à partir d’un cahier des charges (voir http://www.reseaucitesdesmetiers.org ) dans des  territoires diversifiés (métropoles comme Paris ou Barcelone, ou territoires plus ruraux comme l'Orne ou les Côtes d'Armor) et dans des contextes contrastés (pays très dotés en structures d'insertion et d'orientation comme la France ou vide de tels outils, comme le centre du Brésil). Il y a actuellement des CDM ouvertes dans 4 pays (France, Italie, Espagne, Brésil) et des projets labellisés dans deux autres (République de Maurice et Portugal). Une préfiguration de Cité des métiers a également fonctionnée en Autriche dans le cadre de l'initiative Equal et des projets sont actuellement envisagés au Vietnam et au Chili..

Le label CDM, commun à toutes ces plates-formes, leur impose d'être un lieu ouvert en accès libre et gratuit à tous les publics, (jeunes scolarisés ou non, adultes actifs ou non), multi-partenaires et permettant toutes les modalités de consultation et d'information, à savoir des entretiens sans rendez-vous avec des conseillers, une documentation imprimée et en ligne ainsi qu’une offre d’ateliers, de forums et de journées thématiques. Elles doivent traiter tous les aspects de la vie professionnelle, et tous les secteurs et être organisées sous forme de pôles de conseils centrés sur les questions des usagers.

[ retour à la une du réservoir d'Olivier Las Vergnas ]