Les
nouvelles technologies de l'information
peuvent-elles améliorer
l'orientation et l'insertion professionnelle ?
pour Canal Education
Olivier Las Vergnas,
novembre 1996
Notre époque est simultanément marquée par une exigence
de transformation des dispositifs d'orientation et d'insertion professionnelles
et par un développement des outils informatiques et télématiques. Les acteurs
de l'orientation ou de l'insertion se demandent donc dans quelle mesure ces
outils peuvent être mis au service des dispositifs qu'ils gèrent.
Une
gamme très variée d'outils
Une large gamme d'outils a été produite au cours des
dernières années. On trouve bien sûr des bases de données ; certaines peuvent
facilement fournir des informations actualisées et fiables (offre de formation,
diplômes, fiches métiers), d'autres sont beaucoup plus difficiles à alimenter
(offres d'emplois, voire de stages en entreprise). Des outils d'illustration,
comme des batteries de clips vidéos de présentation de métiers ont également
été développés. Ces produits peuvent être couplés avec des tests, des jeux ou
des parcours d'orientation.
Des outils de recherche d'emploi (machines à CV,
entraînement à l'entretien d'embauche) ont également vus le jour, sans parler
de quelques systèmes de gestions des compétences, en général destinés aux
professionnels des ressources humaines.
Des
rôles limités à une partie du processus
Nul ne prétend aujourd'hui qu'un travail d'orientation
ou d'insertion d'une personne puisse être effectué uniquement avec ce type
d'outils. Ceux-ci, en fonction de leurs objectifs, sont mis à contribution
ponctuellement à des moments déterminés du processus d'orientation. Ils sont
complétés par des entretiens avec des conseillers, voire par des rencontres de
professionnels des différents métiers ; interviennent également le plus souvent
des recherches documentaires plus classiques, dans des périodiques ou des
ouvrages papiers. Des situations de travail à plusieurs semblent également très
complémentaires par les confrontations qu'elles permettent. Les familles
d'outils sont d'ailleurs elles-mêmes complémentaires entre elles.
Cette alternance entre modes de travail ne provient
d'ailleurs pas d'une limite de qualité des outils, mais beaucoup plus de la
complexité et de la nécessaire variété d'un travail sur le projet
professionnel. Ce type de travail s'appuie évidemment sur des éléments
d'informations sur les professions et l'emploi, mais aussi sur un
approfondissement de la connaissance de soi et des méthodes de choix, qu'il
s'agisse d'apprendre à oser rêver ou à mieux faire le deuil des projets qui se
révèlent impossibles. Quelle machine pourrait alors prétendre dépasser la
simple illustration dans des phases aussi délicates de l'élaboration d'un
projet et de sa confrontation au réel ?
Se
méfier des miroirs aux alouettes
Il faut se garder aujourd'hui de trois idées fausses
provenant d'un regard presque magique sur les nouvelles technologies :
Première idée fausse :
croire que l'objectif à terme est de se passer de conseiller
Il y a certes des progrès possibles en ce qui concerne
l'utilisation réelle de l'intelligence des machines. Celle-ci ne doit pas se
cantonner à être utilisée pour améliorer la séduction de tel ou tel affichage
mais être aussi mobilisée pour être mise au service de la construction des
savoirs et de l'évolution des représentations. Mais le progrès n'est pas près
de rendre l'intervention humaine inutile. De plus, en ce qui concerne
l'information diffusée, en particulier sur l'emploi, nul n'ignore que les
limites de fiabilité ne dépendent pas de la technologie ; tout au plus peut-on
espérer voir s'améliorer l'ergonomie ou l'actualisation d'un serveur d'offres
d'emploi.
Deuxième idée fausse :
lâcher la proie pour l'ombre
On est souvent tenté d'amalgamer des objectifs
"pédagogiques" louables de familiarisation avec l'informatique avec
les objectifs initiaux d'un processus d'orientation. On assimile alors le
travail sur les outils à une séquence de formation au maniement des machines ou
même simplement de sensibilisation à la "modernité". On risque alors
d'oublier que la priorité est que l'outil soit utile, et que, s'il ne l'est
pas, il ne peut que se caricaturer lui-même.
Troisième idée fausse :
L'outil est plus sûr que l'humain
Les outils sont généralement perçus comme rapides et
fiables, voire sûrs. Ils n'ont en réalité d'autre expertise que celle fourni
par la qualité des données et des algorithmes qui les fondent. On peut même se
demander si dans domaines aussi subtils que l'appréciation d'un profil psychologique
les rapports humains directs ne sont pas plus pertinents qu'une interface homme
machine.
Proposer
des lieux et des scénarios d'usage
Le développement des outils est certes un axe important
de l'amélioration des dispositifs d'insertion et d'orientation, mais il est
loin d'être le seul. Un travail clé consiste à créer des cadres d'utilisation
de ces différentes ressources où les publics pourront à la fois être
responsabilisés et aidés, voire le cas échéant accompagnés dans leurs
recherches. Il est tout aussi important d'approfondir quand et pour quel
fragment du processus les outils doivent être mobilisés.
Ainsi, de nombreux espaces comme la cité des métiers de
La Villette[1]
permettent aux usagers d'organiser eux-mêmes leurs aller et retour entre les différentes
modalités de travail (documents papiers, écrans, entretiens conseils,
ateliers-rencontres). Les logiques de ces usagers sont variées : trouver une
information très précise, obtenir la réponse à une question qu'ils savent
exprimer, résoudre un problème flou qu'ils formulent avec difficulté. Ils
reviennent souvent plusieurs fois avant de se fixer sur une stratégie de
résolution de leur problème.
De tels équipements sont en train de se mettre en place,
souvent à mi-chemin entre des lieux ouverts (bibliothèques municipales, centres
culturels ou socio-culturels) et des structures plus finalisées (centre
d'information et d'orientation, agence locales pour l'emploi, centre de bilan).
Ce mélange de logiques est doublement révélateur : dans un sens, il témoigne du
besoin des acteurs traditionnels de l'insertion, de la formation et de
l'orientation de se confronter à des objectifs plus ouverts ; symétriquement,
il met en évidence une volonté des acteurs culturels de jouer un rôle social
plus directement observable.
Dans ce contexte d'ouverture, les nouvelles technologies
de l'information peuvent contribuer à améliorer les processus d'orientation et
d'insertion. Encore faut-il ne pas vouloir leur donner trop de responsabilités
et ne pas vouloir leur faire prendre celles des humains. D'autres types de
gestion des publics, en particulier pour les publics les moins autonomes
doivent être inventés : en effet, si l'usage des outils informatiques ne génère
pas les exclusions traditionnelles, il en génère quand même. Avec ces
précautions, des centres de ressources modernes pourront se multiplier avec
profit, en particulier par hybridation des lieux et des institutions mélangeant
conseil, libre-service documentaire et ateliers-rencontres.
[1] : la cité
des métiers est un espace d'information et de service sur l'emploi,
l'orientation, l'évolution professionnelle. Elle accueille en moyenne 1300
usagers par jour et est co-animée par des équipes de l'AFPA, l'ANPE, de la
Boutique de Gestion de Paris, du CESI, du réseau des CIBC, du CIO-Médiacom, du
CNED et des DAFCO/GRETA, avec la collaboration de l'ANCE, du Centre Inffo, de
la CCIP et la collaboration du Ministère du Travail.