Article pour la revue

Etudes et Expérimentation en Formation Continue
numéro spécial : Formations Ouvertes

à paraître en septembre 92

16 juillet 1992

 

 

 


A propos de mutualisation
et de transfert liés aux formations ouvertes

 

 

par Olivier Las Vergnas

Chargé de mission "Formation Professionnelle"
à la Cité des Sciences et de l'Industrie

Chef du Projet "Métiers et Vie Professionnelle"

 

 

 

1. Pourquoi développer la mutualisation
et les transferts
?

 

 

Le développement des formations ouvertes (au sens d'actions de formation s'appuyant pour tout ou partie sur des apprentissages non présentiels) est encouragé par l'Etat pour permettre en particulier "une optimisation des budgets de formation"[1]. Ces systèmes constituent en effet un des éléments de réponse souvent envisagé[2] face aux enjeux économiques et aux besoins sociaux en systèmes de formation plus efficaces à moindre coût.

 

Permettre une diminution des coûts de formation ne constitue pas bien sûr l'unique objectif du développement des formations ouvertes. La plupart des formateurs et des commanditaires mettent aussi en place de tels systèmes de formation pour améliorer les conditions d'accès, accroître l'individualisation des apprenants, ou encore permettre une capitalisation de qualité optimale des enseignements des experts. Il n'en reste pas moins que c'est l'amélioration du rapport efficacité/coût des formations qui représente un enjeu bien plus convaincant pour les décideurs par son poids économique.

 

 

comment réaliser des économies d'échelle ?

 

 

Pour améliorer globalement le rapport efficacité/coût des formations par la mise en place de ces systèmes ouverts, il faut, sans nuire à la qualité pédagogique, faciliter le transfert d'outils et de compétences (méthodes de conception, techniques de réalisation et de gestion) et encourager la mutualisation (au sens de gestion mutuelle) des besoins de formation, des réseaux et des financements.

 

Nous appellerons dans la suite "mutualisation" les situations où les acteurs se coordonnent pour gérer ensemble des problèmes (besoins de formation) ou des solutions apportées à ces problèmes (financements, réseaux de ressources). Nous appellerons "transfert" les échanges impulsés a priori ou a posteriori par un seul des partenaires qui propose des outils ou des compétences.

 

 

 

 

2. Quels sont les lieux de mutualisation et les acteurs des transferts ?

 

 

De tels transferts ou de telles situations de mutualisation s'organisent dans des structures d'échanges qui peuvent rester internes à une seule entreprise (entre plusieurs sites ou plusieurs filières), se développer au sein d'un groupe économique, ou selon des structures inter-entreprises horizontales ou verticales.

 

Une des questions clés est de savoir quels sont les acteurs qui ont des intérêts suffisamment généraux pour vouloir vraiment faciliter les transferts ou encourager les comportements mutualistes ? L'analogie a été faite[3] avec les investissements pour l'informatisation des grands comptes dans le secteur bancaire : faute de structures et d'acteurs pour assurer la mutualisation ou le transfert des systèmes informatiques, la plupart de ces systèmes ont été conçus et développés par chaque structure indépendamment, ce qui représente un surcoût collectif impressionnant.

 

 

 

transferts a priori ou a posteriori

 

 

Si l'on parle de transfert d'outils, il faut distinguer les situations où le transfert est prévu a priori et où cette contrainte a été prise en compte dans le cahier des charges et les situations a posteriori, où l'idée de transférer est venue une fois le produit conçu, voire réalisé.

 

Comme exemple de transferts a priori, on peut citer les bornes de formation des maçons au coffrage développées par l'OREP de Pau pour la société Dumez[4] : elles ont été expérimentées dans leur filiale Weiler et conçues pour être étendues à l'ensemble des chantiers du groupe. Dans ce type de transferts prévus à l'avance, les différents partenaires du tour de table initial (en particulier les organismes financiers co-investisseurs) choisissent un compromis entre un élargissement du spectre des publics des outils en poussant à la production d'un produit large avec beaucoup de possibilités de transfert et une adaptation pointue à la situation du principal commanditaire.

 

Pour les transferts a posteriori (à supposer bien sûr que l'on ne fasse pas de la re-conception) on se trouve dans une logique proche de celle du marketing, où les porteurs de l'outil cherchent à identifier des "clients" leur permettant de rentabiliser au mieux leur investissement. Un exemple parmi d'autres d'un tel transfert externe : la société Westmill[5] rentabilise la production qu'elle a conduite pour la Société Générale, d'outils EAO anglais professionnel en les commercialisant ensuite (avec un accord du commanditaire initial) auprès d'autres entreprises, comme Air France et Péchiney. Cette diffusion peut se conduire à l'interne d'un groupe ou dans une démarche plus ouverte de commercialisation vers des sociétés extérieures.

 

Comme exemple de transfert a posteriori interne à un groupe, on peut citer au sein du groupe CIC la mise en place du programme CAP 2000[6] qui a pour objectif de capitaliser, de mutualiser, disséminer et diffuser les innovations pédagogiques mises en oeuvre par les partenaires régionaux du groupe ; ce programme va permettre entre autre de transférer au sein des entreprises du groupe CIC cinq systèmes de formation : Economie, Banque, Communication de la Lyonnaise de Banque, Gutemberg 2000 de la SNVB, Acteurs du Changement Professionnel du Crédit Industriel du Nord, FORMACO du Crédit Industriel de l'Ouest et EVALUATION "ETHNOS" de la BSD.

 

En ce qui concerne le transfert externe, une multiplicité de tentatives de commercialisation systématique ont montré que nous ne sommes pas pour l'instant face à un marché structuré, sauf pour les outils de formation aux langues étrangères et peut-être à l'informatique. Dans les autres domaines, les offres d'outils sont beaucoup trop parcellaires et les habitudes de consommation et d'achat des formateurs quasi-inexistantes, sans doute par manque de formation, d'information et de possibilité de mise en oeuvre des outils. Cependant de nombreuses initiatives existent, avec des outils ou des systèmes de formation de toutes tailles. Citons, comme exemple parmi beaucoup d'autres, le programme d'EAO Biotechnologies du CNED[7].

 

 

 

situations de mutualisation

 

 

Parlons maintenant des situations de mutualisation.

 

Tout d'abord, pour mémoire, rappelons que l'on parle souvent de "mutualisation à l'interne d'une entreprise" pour désigner la mise en place à l'intérieur d'une entreprise ou d'un groupe de système d'échange des compétences. Des systèmes, comme le programme de centres de ressources sur le lieu de travail mis en place à la Cellulose d'Aquitaine avec le CAFOC de Toulouse[8] en constituent de bons exemples.

 

Les situations de mutualisation externes concernent, quant à elles, la mise en commun des financements, des compétences, des besoins ou des ressources. Elles s'appuient sur les partenaires de réseaux -souvent déjà existants- ayant mission ou habitude de rentabiliser des investissements : il peut s'agir de Fonds d'Assurance Formation : ainsi le réseau des Formathèques[9], centres de consultation et de conseil principalement destinés aux décideurs de formation dans les PME est-il progressivement mis en place à l'initiative de l'AGEFOS-PME. Les Chambres Consulaires sont également à l'origine de mutualisation : citons le programme Vigilance[10] mis en place par l'IFACE, (organisme de formation lié à la Chambre de Commerce et d'Industrie de Paris) pour former à la veille stratégique les dirigeants de PME et qui est de plus transféré en Angleterre, Italie, Espagne et Belgique.

 

Des structures nouvelles se créent aussi entre des partenaires d'un secteur professionnel qui s'assemblent pour mutualiser : on peut prendre comme exemple la mise en place de Groupements d'Intérêt Economiques interbancaire[11] dans quatre régions en particulier PACA et Nord-Pas de Calais. Ces GIE ont été constitués pour permettre la recherche de financements locaux et communautaires, tout en laissant chaque partenaire produire pour ses propres besoins ; ils évoluent maintenant vers des productions communes, entre établissements bancaires pourtant concurrents.

 

On voit aussi se constituer des consortiums de spécialistes d'un domaine de compétences ; tel est le cas du réseau des partenaires fondateurs du système Euro-PACE[12] qui diffuse par satellite des programmes de formation dans le domaine de l'électronique et de l'informatique ou du réseau des spécialistes des travaux publics maritimes autour de l'université de Nantes avec le CD-Rom Didacmer[13] par exemple.

 

D'autres acteurs interviennent et militent directement ou indirectement pour le transfert ou la mutualisation : les pouvoirs publics, nous l'avons déjà signalé, interviennent largement (en particulier la DFP) pour stimuler des économies d'échelle. Les réseaux classiques de la formation professionnelle sont bien sûr concernés (réseaux publics type CNED, CNAM ou encore AFPA, mais aussi réseaux privés, comme le CEGOS ou le CESI) ; ils sont rejoints par de nouveaux opérateurs ou projets éducatifs et culturels proches de la formation professionnelle (projet de système de validation comme France Université, projet de TV Educative par exemple). Enfin, n'oublions pas les éditeurs pédagogiques et quelques producteurs audio-visuels (et les investisseurs qui les soutiennent) qui observent ou stimulent au coup par la structuration du marché.

 

 

 

3. pour faciliter le transfert des outils

 

 

taille et échelle des modules à transférer

 

 

Il n'est pas nouveau de comparer les outils pédagogiques à des poupées-gigognes : un cursus se découpe en modules, découpés en séquences ; de même, un outil pédagogique se découpe en séquences, en épisodes ... de l'EAO de 530 heures développé par une branche professionnelle au clip vidéo pédagogique de 1 minute 30[14], des outils produits par le système de capitalisation du Centre Permanent de Formation du BTP de Vitry-sur-Seine, à ceux diffusés par les futurs télé-centres de l'ENIC[15], tous les gabarits d'outils existent.

 

Les acteurs qui cherchent à se situer dans le "marché" des outils pédagogiques proposent une multitude de taille, de formats, de modes d'usage, de supports correspondant à des situations pédagogiques d'une variété étonnante : il résulte de cette situation un double inconvénient : la lisibilité de l'offre est très mauvaise et les pratiques pédagogiques qui peuvent se développer autour de ces produits ne sont pas le moins du monde codifiées. Bien sûr, les formateurs peuvent toujours s'adapter au cas par cas, mais la comparaison s'impose avec les outils classiques de la formation initiale : manuels de cours (avec livre du maître et de l'élève), vidéos d'illustration, livrets de diapositives : ces derniers outils sont plus calibrés et sécurisent davantage formateurs et apprenants.

 

Une double conclusion découle de cet état de fait :

 

D'un point de vue pédagogique, nos systèmes souples de la formation professionnelle doivent d'urgence codifier des palettes d'outils structurés et calibrés si nous ne voulons pas définitivement inhiber les formateurs.

 

D'un point de vue marketing, si l'on veut pouvoir transférer avec une logique de marché commercial, il faut structurer l'offre par des gammes de produits aisément lisibles et communes aux différents acteurs, pour créer des habitudes d'usage et de consommation et des repères.

 

 

 

transférer sans nuire à la qualité pédagogique

 

 

Derrière cette assertion, se cachent deux paradoxes familiers des professionnels de la formation :

 

Le premier paradoxe concerne l'apparente contradiction entre service pédagogique et commercialisation d'outils manufacturés.

 

La situation actuelle est marquée par une évolution de l'appareil de formation qui passe d'une situation d'offre sur catalogue au conseil pédagogique, voire à l'ingénierie de formation, c'est à dire à une activité de service (au sens d'activité nécessitant la participation du client). En parallèle, on veut industrialiser des outils et des produits manufacturés.

 

 

Le second paradoxe concerne l'apparente opposition entre l'individualisation des apprentissages et l'industrialisation des outils.

 

Développer des situations d'apprentissage et des parcours individualisés est quelquefois vu comme contradictoire avec la diffusion d'outils manufacturés et avec la mise en place de réseaux de lieux "standardisés".

 

 

Ces deux paradoxes permettent de bien situer les limites des transferts possibles :

 

Le premier fixe une limite à l'ambition des transferts. Des outils où des éléments pédagogiques ou méthodologiques peuvent être mis à disposition, mais un système clé en main ne peut être exporté. Il faut au cas par cas un travail d'ingénierie pour définir un protocole de validation, un système d'accompagnement (tutorat, échanges de pratiques, regroupement) et des dispositifs techniques (postes de travail, centre de ressources, messageries) selon la spécificité des besoins et des contextes.

 

Le second paradoxe ne concerne pas spécifiquement le transfert ou la mutualisation. Mais il permet de rappeler cependant les caractéristiques des outils "intéressants à transférer". On doit respecter un double niveau d'individualisation : celui des parcours macroscopiques (en n'intégrant pas d'outils trop volumineux) et celui des cheminements microscopiques (grâce à des outils intelligents, réagissant point par point en fonction des réponses des apprenants).

 

 

 

deux logiques, deux niveaux de clients

 

A la différence de la mutualisation, le transfert commercial des outils de formation vers des utilisateurs suppose des besoins d'outils et "des clients". Il peut y avoir deux cas très différents :

 

Premier cas : on veut transférer des outils vers des clients-utilisateurs dans le cadre d'un système de formation pensé pour un public défini par des pratiques professionnelles avec des lieux de travail et de formation connus. Dans ce premier cas, il faut fabriquer des outils appropriables par les concepteurs de systèmes : il doit donc s'agir de modules fournis avec leur modes d'assemblage pour permettre la conception en local de chaque système de formation.

 

 

Deuxième cas : on veut transférer des outils vers des clients-utilisateurs qui les mettront dans des centres de ressources, type didacthèques et autres APP ...

 

Dans ce deuxième cas, les outils doivent être directement assemblables par les apprenants eux-mêmes ; cela signifie qu'en terme de cahier des charges, il y a deux clients à la fois : le client-responsable du centre de ressource d'une part et le formé ultime d'autre part.

 

Remarquons de plus sur ce deuxième cas que la situation est un peu celle de la poule et de l'oeuf, voire celle de la basse-cour et de la crémerie. Il faut arriver à gérer simultanément la naissance des réseaux de centres de ressources et la mise sur le marché des outils.

 

 

 

4. le transfert des méthodes de conception et des compétences nécessaires aux professionnels

 

 

Investissement intellectuel et protection

 

Les formations ouvertes nécessitent un investissement intellectuel très important. Produire des systèmes ou des outils pédagogiques efficaces s'appuie sur la mise au point de méthodes de conception voire de méthodes pédagogiques originales dont l'élaboration peut se chiffrer en mois de travail.

 

Il est certes maintenant acquis que cet investissement intellectuel de recherche et développement peut être financé dans le cadre de l'article L920-2 et des programmes d'appui de l'Etat ou de la communauté (via DELTA par exemple) ont largement contribué à l'avancée des recherches pédagogiques.

 

Ainsi, au niveau des méthodes pédagogiques, certains acteurs de la conception ont beaucoup progressé ces dernières années sur des questions pédagogiques[16] aussi bien que sur des questions d'organisation (tutorat, échanges de pratiques, partage des ressources) des systèmes de formations ouvertes.

 

Cependant, il est naturel que les acteurs de la conception de systèmes de formation hésitent à voir, sans contre-partie économique, les concurrents s'emparer des résultats de leurs recherches. Qui prendra le risque de perdre les ressources que va lui assurer une méthode de conception ou une méthode pédagogique performante ? Ce réflexe protectionniste entraîne que ce type d'acquis circulent difficilement faute d'une organisation ad'hoc : il y a trop de concurrence, trop de risques et trop de retours sur investissement attendus.

 

Si l'on veut progresser dans ce domaine du "transfert méthodologique", il faut s'inspirer de l'organisation des échanges dans le classique transfert de technologie et mettre en place un système analogue aux brevets, qui permette de protéger et de rétribuer les échanges de méthodes de conception ou de méthodes pédagogiques. Ce problème de protection et de commercialisation ne se limite d'ailleurs pas au seul champ des formations ouvertes, les mêmes aspects de concurrence et de responsabilité sociale se posent dans l'ensemble de l'ingénierie de formation.

 

Actuellement, nous ne savons pas faire fructifier économiquement les compétences intellectuelles ; pire, nous n'assumons peut-être pas qu'il faudrait le faire et vendre les méthodes en tant que telles. Nous ne les facturons qu'au travers d'outils dérivés : outils techniques qui les mettent en oeuvre (on achète un brevet ou les droits d'un logiciel), session de consultation d'une base de données qui met en relation (on paye le coût du média de veille technologique) ou encore session de formation à telle méthode (là encore, on paye le média et non réellement le droit d'utiliser une méthode).

 

 

 

transfert des méthodes de production

 

 

Dans ce domaine, il faut surtout noter que la plupart des porteurs de projets et autres commanditaires sont confrontés aux mêmes problèmes de montage des partenariats et de constitution de tour de table de financeurs.

 

En effet, les systèmes de formations ouvertes s'appuient sur une gestion de l'investissement bien différente de celle des systèmes classiques de formations : pour les formations ouvertes, il faut investir plus et souvent pour plus longtemps. Cette situation entraîne des problèmes cruciaux de stratégies de partenariat, car les investissements à réunir sont disproportionnés pour la plupart des organismes de formation qui sont habitués à des réflexes à court termes, comme la plus grande partie des sociétés de services. Mais ce problème n'est pas du ressort de la formation ou du transfert de compétences !

 

Pour le reste des fonctions des "chefs de projets", nous n'en sommes pas aujourd'hui à un niveau de formalisation de compétences qui permette de transférer à coup sur des méthodes fiables de production de systèmes de formation ; tout au plus peut-on prétendre proposer aux chefs de projets des grilles d'expertise de leurs projets.

 

 

le transfert des compétences des différents intervenants formateurs

 

 

Nous venons de regarder des compétences liés aux méthodes de conception et aux méthodes pédagogiques. Qu'en est-il du transfert des autres compétences des différents formateurs qui interviennent autour des formations ouvertes ?

 

Hormis le chef de projet "concepteur de centre ressources ou de système", interviennent des responsables de formation, des tuteurs, permanents ou occasionnels et des animateurs gestionnaires de centres des ressources. Plusieurs organismes (CESI, CNAM, CSI, IFACE, Inffo, ORAVEP, Universités) ont mis en place une gamme d'actions pour ces types de professionnels.

 

En constante redéfinition année après année, ces actions de formation, d'information et de conseil ne sont pas toujours aussi lisibles qu'on pourrait le souhaiter, car elles essayent à la fois d'inciter et de répondre aux besoins exprimés. Trois constats :

 

Premièrement, en ce qui concerne les interventions de "formation approfondie de formateurs", les descriptions des tâches et des compétences des divers intervenants s'affinent ; les différentes logiques des organismes commencent à se préciser et se recentrent autour des lieux ressources (type didacthèques ou structures de productions)

 

Deuxièmement, la nécessité de dispositifs d'information des formateurs et des décideurs est de plus en plus prise en compte. La majeure partie des regroupements de professionnels de la formation mettent en place, avec l'appui des lieux ressources des séminaires ou colloques ; c'est dans cet esprit qu'ont été mises en place, à l'initiative de la DFP[17], les journées "nouvelles économies de la formation" qui permettent aux décideurs de faire le point sur les programmes ouverts développés secteur par secteur. La plupart des exemples de formations ouvertes citées dans ce texte ont été analysées dans ces journées[18].

 

Troisièmement, le plan du conseil et du soutien ; dans ce domaine, l'offre se met progressivement en place. Cela va de pair avec l'évolution vers des formations-actions de "chefs de projet" liées à des projets en vraie grandeur. De leur propre chef, ou à l'initiative de l'Etat, de nombreux organismes ont inscrit cette fonction de conseil sur les ressources ou d'ingénierie de systèmes dans leurs missions : il s'agit en particulier d'organismes spécialisés du type CLEO, Didacthèques, Cité des Sciences et de l'Industrie, ORAVEP ...). Reste à voir qui fera appel à ces ressources, pourquoi et comment ...

 

 

 

6. Que faire : Objectiver ensemble

 

 

Comme dans beaucoup de situations d'émergence de marché et de savoir-faire, le maître mot est sans doute l'objectivation. Le passage à la maturité va s'appuyer sur la capacité de tous les acteurs à objectiver de concert plusieurs éléments clé. On peut au moins en citer quatre.

 

 

Premier élément à objectiver :

le marché des méthodes et des savoir-faire de conception

 

Nous en avons déjà parlé plus haut. Il y a fort à parier que tant que nous n'aurons pas progressé dans ce champ de la maîtrise du transfert de méthodes et de technologies éducatives et intellectuelles, les échanges de pratiques, de méthodes et de compétences seront velléitaires.

 

 

Deuxième élément à objectiver :

les outils de calcul des économies d'échelle

 

 

Nous avons rappelé plus haut qu'un des objectifs du développement des formations ouvertes était d'améliorer le rapport efficacité/coût. Afin d'évaluer l'intérêt de la mutualisation ou du transfert, il faut être capable de comparer des coûts entre eux et des efficacités entre elles.

 

Or, actuellement, la situation est encore floue. Rien que du côté des coûts, les estimations sont très délicates, en particulier à cause de la difficulté de prise en compte des coûts de recherche et développement. En fait, comme pour toutes les productions à haute technicité et à fort coûts de recherche et développement, il y a plusieurs façons d'affecter l'amortissement des investissements de conception sur les coûts de production, selon la taille ou l'échelle de temps que l'on considère.

 

Prenons par exemple le système de production et de diffusion vidéo EuroPace, où le système de téléconférence de l'ENIC. Si l'on cherche à calculer un "coût réel", quelle part de la totalité de la recherche et du développement va-t-on décider d'affecter ? Selon ce que l'on veut prouver, on peut aussi prendre en compte dans le calcul du coût "réel" la totalité de la conception du réseaux des centres locaux ou alors simplement les coûts d'abonnement et d'équipement, ou vision encore plus limitée, les seuls coûts de production de la série de cours. De même, la méthode qui a permis la production du CD-Rom Didacmer ou du produit Biotechnologies du CNED va être appliquée directement à deux autres produits. Où affecter l'investissement ?

 

Sans outil consensuel, stable et fiable de calcul du retour sur investissement, comment intéresser et convaincre dans des tours de table avec des éventuels financeurs ?

 

 

Troisième élément à objectiver :

des finalités "culturelles" sous-jacentes aux actions de formation

 

Le but unique des actions de formation n'est pas le transfert de compétences ; les actions remplissent aussi d'autres fonctions telles que le développement de la culture d'entreprise, du sentiment d'appartenance, telles que la constitution des équipes, l'animation de réseaux de circulation d'informations techniques par exemple.

 

Il faut prendre garde à ne pas oublier ces fonctions quand on envisage de transférer des outils ou de mutualiser des dispositifs de formation, et ce pour deux raisons :

 

Premièrement, chaque outil peut comporter des éléments qui vont agir en négatif ou en positif pour chacune de ces fonctions[19]. Si l'on veut éviter l'écueil du rejet d'un outil, le noyau "pédagogique" peut être le même indépendamment du lieu de transfert, mais les éléments de la "culture d'entreprise" doivent être "adaptables" (disquette à part) ou ne pas être -pas de logo, pas de look de l'entreprise, pas de slogan, pas de rappel de la personnalité-.

 

Deuxièmement, si les outils utilisés sont neutres par rapport à ces types d'objectifs, il faut compléter le système de formation par d'autres situations qui permettent de les atteindre. Signalons que ce problème de la signature ou de la "personnalité de l'entreprise" est d'autant plus grave dans la formation que l'on est proche d'une situation d'adaptation au poste de travail.

 

 

 

Quatrième élément à objectiver :

les partages de marchés

 

Il faut intervenir pour faciliter la structuration des marchés et la cohérence des productions, et ce pour au moins trois raisons : harmoniser pédagogiquement la production, rassurer les investisseurs et faciliter l'information des clients.

 

Prenons un exemple : la production audio-visuelle d'information sur les métiers. Beaucoup d'enjeux, la plupart du temps compatibles entre eux, mais de nombreuses productions anarchiques (avec ou sans informations sur la formation, sur les conditions d'exercice ; des produits liés ou non aux éléments quantitatifs, centrés sur des logiques différentes). En bref, il y a urgence à intervenir pour rationnaliser cette production. Cela peut se faire par exemple en constituant des corsortiums de producteurs ou en proposant un découpage de ce "sous-marché" grâce à plusieurs cahiers des charges consensuels : un définissant des clips de sensibilisation, un autre des produits plus longs donnant des informations utilisables dans des ateliers de bilan...

 

Tous les partenaires (aussi bien les pouvoirs publics que les opérateurs privés) ont intérêt au développement donc à la structuration des pratiques et des marchés. Cette structuration doit être impulsée et suivie pas à pas. A chaque partenaire d'y contribuer, car là aussi les économies de moyens et d'échelle sont cruciales : la mutualisation de cette construction du marché des formations ouvertes s'impose.

 



[1] : voir la note de définition du Programme Formation Ouverte et Ressources Educatives, approuvée par la Commission Permanente du CNFPPS du 17 février 1992

[2] : voir par exemple le paradigme des technologies de communication à l'oeuvre dans l'appareil de formation de E. Barchechath et S. Pouts-Lajus in EetEenFC, 1991, n°11

[3] : en particulier par Chantal COSSALTER du CEREQ

[4] : voir Inffo Flash n°355, en encart central : CR des rencontres de la Villette : les formations ouvertes et les nouvelles technologies dans les PME

[5] : voir Inffo Flash n°359, en encart central : CR des rencontres de la Villette : les formations ouvertes dans les banques et assurances

[6] : voir Inffo Flash n°359 encart central, op. cit.

[7] : voir Inffo Flash n°353, en encart central : CR des rencontres de la Villette : les nouvelles technologies et les formations d'ingénieurs

[8] : voir Inffo Flash n°355 en encart central, op. cit.

[9] : voir Inffo Flash n°355 en encart central, op. cit.

[10] : voir Inffo Flash n°355 en encart central, op. cit.

[11] : voir Inffo Flash n°359 en encart central, op. cit.

[12] : voir Inffo Flash n°353 en encart central, op. cit.

[13] : voir Inffo Flash n°353 en encart central, op. cit.

[14] : comme la série vidéolexique Nouvelles Technologies, Biotechnologies ou Découvertes de la CSI-La Villette par exemple

[15] : voir Inffo Flash n°353 en encart central, op. cit.

[16] : comme "Que faire de l'intelligence de la machine ? Comment la faire compléter celle de l'apprenant ? Comment un système automatisé peut-il porter témoignage de savoir-faire humains ? Comment donner envie de s'exercer ? Quels outils de manipulation des abstractions mettre en oeuvre ?"

[17] : avec le Centre Inffo, la CSI, l'IFACE, l'INA, l'ORAVEP et les acteurs des différents secteurs

[18] : voir Inffo Flash n°353, 355 et 359, les encarts centraux, op. cit.

[19] : "tiens, je reconnais mon poste de travail, avec le look de mon entreprise", ou au contraire : "ça, c'est la meilleure ! c'est tourné dans une société concurrente ..."