Extraits de la postface de "l'Affaire des enfants des Vermiraux" d'Emmanuelle Jouet,
à paraitre en 2010 aux éditions de l'oeil d'or

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Surviolences et débarras d’enfants :
affaires d’hier, redécouvertes d’aujourd’hui

Olivier Las Vergnas

 

excelsior juillet 2011

Une révolte loin d’être unique

Même si les condamnations prononcées au procès l’on rendue exceptionnelle, l’Affaire des Vermiraux n’est pas un cas unique. En fouillant la littérature, on trouve traces de beaucoup d’autres révoltes d’enfants placés ou internés et ce particulièrement durant la seconde moitié du dix-neuvième siècle et la première moitié du vingtième. De fait, grâce aux travaux des historiens de la protection judiciaire de la jeunesse (JJ et E. Yvorel, M. Gardet, Vivet et Tomkievicz) et d’auteurs comme Marie Rouannet ou Paul Dartiguenave, on ne peut que constater que la plupart de ces institutions ont connu des périodes de dérives surviolentes qui aboutissaient presque systématiquement à des révoltes.

Les événements qui se déroulèrent entre 1883 et 1887 à Porquerolles paraissent assez similaires à ceux des Vermiraux. Le 25 juillet 1886, les forces de l’ordre intervinrent pour stopper une révolte qui éclata dans cette colonie agricole privée créée à l’initiative d’un couple de notables parisiens, qui a acheté l’île et souhaite à la fois trouver de la main d’œuvre bon marché et développer une « école de réforme ». Là aussi, le système qui se proclamait philanthropique avait dérivé jusqu’à un niveau de surviolence insupportable pour les colons. Leur rébellion fit perdre tout contrôle des bâtiments aux gardiens, obligeant à une intervention de la gendarmerie. Comme dans le cas des Vermiraux, la presse prit fait et cause pour les enfants. Les condamnations furent lourdes pour deux des gardiens qui écoperont respectivement de un et deux mois de prison ; un troisième sera condamné à 25 F d’amende et la propriétaire, Madame De Roussen, à 200 F tandis que son mari sera condamné aux dépens. Quant aux enfants, ils sont soit acquittés, soit, pour cinq d'entre eux, condamnés à 1 F d'amende. Après l’énoncé du jugement, le « Moniteur de la gendarmerie » du 20 février 1887 (n°338, p120) notera que

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Les mêmes causes produisent les mêmes effets

Dans les années trente, les révoltes de Mettray et de Belle-Isle font la une des journaux, portées sur la place publique par le journaliste Alexis Danan dans Paris Soir. Les passages de Jean Genet inspirés de sa vie à Mettray, le poème de Jacques Prévert sur « la chasse à l’enfant »  lors de la rébellion de Belle-Isle renforce ce mouvement d’opinion. Et même si Marcel Carné et Jacques Prévert ne parviendront jamais à terminer la production de leur long métrage  « la fleur de l’âge » consacré à cette révolte et dont un seul tiers fut tourné avec Arletty et Reggiani, ce thème d’une île des enfants perdus a marqué un grand nombre d’esprits.

Chacun de ces instituts aux objectifs louables semble avoir été entrainé par un même type de processus mélangeant sur plusieurs années surviolence (y compris sexuelle), exploitation de la force de travail (assimilable de l’esclavage) et escroquerie par détournements multiples (pécule, nourriture, vêture…).

Ces similitudes entre toutes ces affaires, par exemple entre la déchéance de l’utopie des Vermiraux  et de celle de Porquerolles, sont telles que l’on ne peut s’empêcher d’en rechercher une cause commune. Et de fait après avoir décortiqué le système et le bouclier des Vermiraux grâce à l’économie des secrets décrite par Emmanuelle Jouet, cette cause commune est facile à identifier : Ce sont les mêmes coulages de bénéfices qui créent et protègent la même surviolence. Et en ayant présent à l’esprit l’alliance d’acteurs de l'Affaire des Vermiraux et son économie des secrets, on ne peut nier l’évidence : un même système d'intrication de bénéfices est à l'œuvre derrière chacune de ces dérives. D'un coté de la main d'œuvre à bon marché, des possibilités de détournements de fonds sans risque, des victimes, la possibilité de sous-payer les gardiens en échange de l'octroi d'esclaves, livrés comme victimes sans défense pour toute sorte de perversions. De l'autre, un moyen de s'afficher philanthrope, de débarrasser les villes de la délinquance juvénile, de relayer, voire de soulager, l'action de l'administration pénitentiaire.

Derrière cette répétition de ces de nids de révoltes, un même effet de système se dessine : la gestion au moindre coup de « débarras d’enfants » aux ambitions d’intégration vertueuse. La société leur donne des blancs-seings via ses tutelles qui se révèlent en réalité propices à la corruption et aux abus de toutes natures. Et si ces différentes affaires se ressemblent quand elle dégénèrent dans les mêmes dérives, si elle s’installent de manière très similaires dans la durée impliquant plusieurs personnes, individus, groupes et institutions, si les acteurs trouvent le pouvoir de résister aux divers contrôles, si ces crimes ou délits échappent à la vue de l’espace public se maintenant jusqu’à ce qu’une crise salvatrice ne déclenche un travail de lumière médiatique ou judiciaire, c’est selon le même mécanisme d’enchevêtrement de bénéfices croisés où tout concourt à faire perdurer un système vicieux mais profitable à beaucoup de titres.

Ainsi, à leur dimension, les Vermiraux ou Porquerolles révèlent les travers systématiques dans lesquels nos sociétés peuvent tomber en confiant, officiellement dans le but de les éduquer, des groupes de « miséreux » dont elles veulent débarrasser leurs cités à des philanthropes privés. Ceux-ci peuvent se révéler vite dilettantes et dépassés par leurs responsabilités ; dès lors, les systèmes naïfs qu’ils ont mis en place deviennent des nids à corruptions et perversions… propices aux escroqueries, aux détournements de fonds susceptibles de devenir ces « parc aux cerfs » où la lubricité peut s’installer sans difficulté et sans risque d’être dénoncée.  D’ailleurs, qu’il s’agisse de bourgeois naïfs comme le couple de Porquerolles ou d’escrocs délibérés comme Landrin, la différence n’est pas si grande pour les enfants, abandonnés à la surviolence et soustraits à tout contrôle par le bouclier de l’enchevêtrement des bénéfices de l’économie des secrets.

 

Le voile se lève aussi sur un effet de système plus large

Cent ans après, d’autres drames révélés récemment par les médias font aussi écho à l’Affaire des Vermiraux ou à celle de Porquerolles. Le fait que ce type d’histoire se répètent encore de nos jours laisse penser que ce mécanisme de bouclier protecteur peut toujours fonctionner, qu’il est toujours apte à soustraire à la justice des dérives d’instituts dont les noms et les assises règlementaires ont changé, mais qui concernent encore le diptyque « enfance et danger ». Citons ainsi l’affaire de l’association « Cheval pour tous » gérée par François Supéri ou celle du centre du Guette-Soleil (voir encadré) qui, de 1980 à 2000, fournit en victimes handicapées aussi bien le multirécidiviste Emile Louis que la salle de torture découverte au sous sol d’un pavillon d’Appoigny. Ces histoires ne se limitent en rien à la France et des affaires comme celle de l’orphelinat d’Ain Scheck au Maroc confirment qu’en matière de protection de la jeunesse, notre pays n’a l’apanage ni des dérives d’instituts, ni des scandales médiatiques qu’elles déclenchent .

Or, l’actualité récente est surtout marquée par des scandales qui ont pris des dimensions plus larges encore : ainsi, les unes des journaux ont très largement relayé les embarras du Vatican confronté à des mises en cause voire à des aveux circonstanciés de certains de ses dignitaires en Irlande concernant un système d’abus et de surviolence à enfants à l’échelle nationale.

En fait, dans ce pays, se sont succédé ces dernières années deux vagues de scandales concernant les instituts religieux. La première, voici dix ans, concerne les couvents de la Madeleine dédiés à la repentance des jeunes filles  « perdues ».  

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En mars 2010, dans une lettre lue dans toutes les églises d’Irlande, Benoît XVI a affirmé que les hommes d'Eglise coupables d'actes pédophiles devront en répondre non seulement devant Dieu mais aussi devant la justice ordinaire. Critiquant les «graves erreurs de jugement» commises par les évêques, il a annoncé une « visite apostolique » (c'est-à-dire une enquête dans la terminologie du Vatican) dans plusieurs diocèses, séminaires et congrégations. « Vraiment désolé », il a exprimé la «honte» et le «remords» de toute l'Eglise, ainsi que sa volonté «d'une guérison et d'un renouveau». «Les victimes espéraient une reconnaissance de la manière outrageante dont elles ont été traitée», a répondu Maeve Lewis, directrice de « One in Four » une organisation qui parle au nom des victimes ; elle a ajouté que « l'absence d'excuse à cet égard est douloureux à l'extrême.»

Entre temps, une nouvelle enquête diligentée par le Ministère de la Justice avait précisé les faits à Dublin. « Des représentants de l'Etat y sont accusés d'avoir encouragé le camouflage des faits. Un prêtre a reconnu avoir violenté plus de cent enfants. Un autre dit s'être livré à la même pratique toutes les deux semaines pendant plus de vingt-cinq ans », indique le rapport. Selon le même document, un échantillon représentatif de 46 prêtres fait "très clairement" apparaître une pratique répandue.
"En traitant les cas de sévices sexuels sur enfants, l'archidiocèse de Dublin avait pour préoccupation, au moins jusqu'au milieu des années 1990, de préserver le secret, d'éviter le scandale, de protéger la réputation de l'Eglise et ses biens. […] Toutes les autres considérations, y compris le bien-être des enfants et la justice pour les victimes, ont été subordonnées à ces priorités". (Rapport cité et traduit par xxx, source ???? forum yahoo, à préciser…)

Surenchères dans les bénéfices enchevêtrés

Même si la même économie de secrets enchevêtrés peut décrire le système de surviolence institué en Irlande, deux caractéristiques s’ajoutent à celui l’Affaire des Vermiraux. La première est la dimension religieuse. A la justification des Vermiraux par la philanthropie, elle ajoute une volonté de rédemption des péchés des enfants « perdus » par le supplice ; de plus elle favorise le silence en se protégeant derrière les images de vertu des bourreaux. La deuxième caractéristique est de l’ampleur des faits : la commission a entendu 2 000 victimes et rien que pour les femmes, 30 000 jeunes irlandaises furent placées sur un siècle dans ces couvents de la Madeleine dont le dernier ferma en 1997.

L’Irlande est loin d’être le seul pays touché par de tels scandales à la dimension d’un État. Au Québec, entre 1940 et 1960, le gouvernement mena une campagne d’enrichissement en détournant les subventions fédérales : les tutelles déclarèrent malades mentaux des enfants qui avaient été abandonnés ou orphelins. Cette stratégie a été conduite de concert avec l’Église catholique romaine. Ces mesures politiques entraînèrent des conditions de vie inhumaines pour les enfants de mères nécessiteuses et, surtout, pour les orphelins. En 1949, un journaliste publie des articles dans un journal de Toronto sur le triste sort réservé aux enfants des orphelinats du Québec. Ces articles font scandales. Jeune chroniqueur au Devoir, Gérard Pelletier mène à son tour une enquête sur le sujet. On retrouve à très grande échelle l’octroi de main d’œuvre gratuite dans les fermes, les sévices corporels, les abus physiques. Son reportage révèle l'ampleur de la misère et des souffrances des enfants abandonnés. Certains servaient d’objets sexuels pour des prêtres, des sœurs ou des agents administratifs mais également d’objets d’expérimentation médicale avec les membres du Collège des médecins du Québec. Sur cette affaire, un rapport de la Commission d'étude des hôpitaux psychiatriques est publié en 1962. Il dénonce la gravité de la situation dans laquelle se trouvaient non seulement le malade mental mais aussi l'orphelin puisqu’il avait désormais le même statut civil et médical, « suite à un accord entre le Ministère Duplessis, les communautés religieuses et les organisations médicales ».

Ces deux affaires nous montrent que des catégories entières d’enfants - à la dimension d’un pays (ou d’une région) dans sa totalité- peuvent être concernées par des affaires d’abus et de surviolence apportant en contrepartie aux autorités des bénéfices financiers majeurs –un sous prolétariat féminin gratuit pour l’Irlande et un système de détournement massif de subvention psychiatrique pour le Québec. Cette prise de conscience nous conduit à regarder différemment certaines des affaires contemporaines  des Vermiraux, en particulier les scandales à répétition des institutions du Bon Pasteur. A propos de celles-ci, qui firent l’objet de multiples procès pour des faits tous plus criminels et amoraux les uns que les autres (Nancy, Annonay et Tours) on lit dans  « La faillite de la charité » (op. cit.) :
 « La congrégation des Sœurs hospitalières de Notre-Dame du Bon-Pasteur d'Angers, désormais célèbre sous le vocable plus commode de Sœurs du Bon Pasteur possède 21 maisons dans lesquelles 7.000 religieuses sont chargées de faire produire à 48.000 enfants ou jeunes filles tout ce que cette matière vivante peut rendre de travail utile, dut-elle en périr. Ces chiffres ont été fournis par M" Eugène Prévost dans sa plaidoirie des 4,5 et 7 février 1903 devant la cour d'appel de Nancy. »

Rétrospectivement, ce réseau des prétendus « refuges » du Bon Pasteur présente beaucoup de points communs avec celle des Magdeleine Sisters ou des Christian Brothers. Avec plus d’un siècle de recul, ces épisodes judiciaires successifs de différentes maisons des sœurs à Nancy, à Annonay, à Tours se lisent non seulement comme des drames locaux, mais surtout comme des fragments tous reliés d’un système concerté d’exploitation et d’esclavage d’enfants à l’échelle du pays . Et là aussi, la dimension religieuse renforce les couplages de bénéfices et le bouclier d’enchevêtrement de secrets.

Parachèvement de l’économie des secrets par achat du silence

D’ailleurs, les répétitions ne s’arrêtent pas là. Aux Etats-Unis, des institutions religieuses ont également été récemment le cadre d’abus sexuels à répétition. Ils ont là encore été perpétrés de manière systématique par des religieux mais sont significatifs d’une nouvelle façon de réagir.

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Ainsi encore très récemment de tels systèmes ont pu être soutenus, voire orchestrés, quelquefois ouvertement, par les gouvernements eux-mêmes. Il est d'ailleurs relativement facile de trouver des traces de politiques de manipulation d'enfants fragiles dont certaines étaient jugées très philanthropiques par la grande majorité du corps social. En France, l’importation d'enfants de la Réunion pour renforcer de la démographie vacillante de certaines zones rurales du Massif central, comme la Creuse fut décidée par le ministre Michel Debré. Au Canada, une politique de « dés-indianisation » qui consistait à déplacer les enfants en les séparant de leurs parents fut menée de xxx à xx. Elle a concerné xxx enfants. L’Australie n’est pas en reste avec le drame de dizaines de milliers d’enfants du Commonwealth exportés d’Angleterre en Australie.

Le respect des valeurs est une affaire de valeurs

Les incohérences des systèmes d'État génèrent de multiples possibilités de tirer des bénéfices des « enfants perdus ». Les petits arrangements à grande échelle en entrainent à petite et moyenne échelles. Dire que l'on protège l'enfance mais ne pas s'en donner les moyens, prétendre contrôler les prisons mais ne même pas pouvoir en assainir les bâtiments ou leur donner assez d'encadrement, voilà qui instaure officiellement des paradoxes avec lesquels jonglent les individus pris dans le système. Chaque faille à l'échelle macro, chaque ambigüité, chaque compromission irradie à tout niveau des opportunités d'arrangement. Quand administrer l’éducation et la justice devient sous payer, sous former, privatiser sans contrôler, inspecter sans inspecteurs, quand on ériger les doubles discours en principe d’action, on conduit à leur généralisation par tous : et vivre devient frapper, racketter, violer, humilier, dé-former à vie.

Actuellement, en matière de justice et d’éduction, les individus sont toujours fracassés par les doubles discours et les contradictions des enjeux aux différentes échelles. La question des enfants perdus est surtout celle du projet de société. Si ceux-ci ne sont vus que comme un fardeau tout juste utile à fournir de la main d’œuvre gratuite, aucune répétions ne sera évitée. A contrario, c’est en considérant leur sauvegarde et leur insertion comme un défi clef pour lequel la société se doit d’être exemplaire.

Et sans doute pourra-t-on sereinement dire un jour que l’on mesure la qualité d’une société à la façon dont elle traite ses miséreux.

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Olivier Las Vergnas est l’arrière-petit fils de Mathieu Tamet qui fut témoin au procès des Vermiraux. Il est aussi chercheur invité au sein de l’équipe apprenance et formation des d’adultes du CREF de l’université de Paris-Ouest.

Meme si les « fausses » affaires d’Outreaux et de l’orphelinet de  Jersey  nous ont montré qu’il fallait prendre garde à l’image de l’enfant qui a toujours raison.

Frances Finnegan, Do Penance or Perish. A Study of Magdalen Asylums in Ireland. Congrave Press, Ireland, Piltown, Co. Kilkenny (2001)

http://video.google.com/videoplay?docid=-1732953937770017672# (1997)

http://www.childabusecommission.com/rpt/pdfs/CICA-VOL4-12.PDF

A signaler également à la même époque, plusieurs ouvrages qui dénoncent l’exploitation systématique des enfants des institutions comme main d’œuvre gratuite.  Parmi ceux-ci, « la lutte contre les Sweating-System » de Paul Boyaval (1912, Felix Alcan, éditeur à Paris, 718 pages),