Formation tout au long de la vie
et plate-forme d’information et d’empowerment des individus

 

Olivier Las Vergnas,

Novembre 2003

 

Publié en portugais, traduit par Carlos Ribeiro. 

in Rede das Casas da Iniciativa Local (Réseau des Maisons de L´Initiative Locale).
editée par ANOP Association de Développement & Éducation - Association Nationale des Ateliers de Projets

 

Le rythme actuel des innovations oblige à une adaptation au quotidien

et à une projection à long terme

Tout le monde parle aujourd’hui de formation tout au long de la vie. Les conséquences des innovations pénètrent dans nos vies quotidiennes à un rythme beaucoup plus rapide que celui du renouvellement des générations. Voici encore quelques décennies, un dispositif d’instruction initiale suffisait, mais aujourd’hui, un système d’éducation permanente se révèle indispensable à la bonne marche de nos sociétés. Une première conséquence se constate pour l’individu, au quotidien : tant pour les travailleurs que les consommateurs, que même simplement pour tous les citoyens, il faut pouvoir s’adapter au jour le jour aux nouveaux fruits du progrès : les accepter, les utiliser et les faire utiliser, les acheter et les faire acheter, les mettre en débat voire en refuser certains dans les démocraties les plus avancées. La seconde conséquence porte sur l’organisation socio-économique : l’apparition fréquente d’innovations et les interactions économiques modifient l’organisation même du travail et des professions. Ainsi, dans nos pays développés, les trajectoires de vie professionnelle se construisent de moins en moins par reproduction du modèle familial. Il y a encore quelques dizaines d'années, le fils de cheminot travaillait souvent dans les chemins de fer ; les enfants ou au moins l'un d'entre eux reprenaient le petit commerce ou l'exploitation agricole familiale. Gazier fils de gazier, Mineur fils de mineur ... Certes, on espérait faire mieux que les parents, parce que la valeur dominante était la réussite professionnelle et l'espoir de la promotion sociale, mais pour la majorité l'itinéraire était tracé par le contexte, les ressources et le modèle familial. La part du choix était limitée et l'information sur la vie professionnelle procédait de l'imprégnation.

 

Cette orientation prédéterminée de manière quasi héréditaire ne générait donc que peu de besoins d'information, d'écoute et de conseil au choix professionnel ou à l'élaboration de projets de vie. Cette notion de projet ou de trajectoire n'avait d'ailleurs que peu émergée, n'ayant alors que peu de nécessité sociale. Trois éléments confirmaient cette faible utilité d'un appareil d'information et de conseil. Les dispositifs de promotion sociale étaient peu nombreux, fondés sur le volontarisme et la persévérance et relativement balisés ; on faisait sa vie dans la même entreprise, voire dans le même poste ; les métiers enfin étaient fortement différenciés, faciles à nommer, à connaître et pour la plupart d'entre eux à rencontrer, souvent liés à des gestes, des outils, des machines, des modes de vie. Et encore pour être complet faudrait-il ajouter l'effet télévision : il y a encore trente ans, ces écrans n'occultaient pas les conversations familiales et ne remplissaient pas les têtes avec les modèles de sociétés d'illusion. où les métiers et professions sont surtout virtuels

Ce qui impose formation permanente et anticipation professionnelle :

s’adapter au quotidien,mais aussi se projeter dans l’avenir

Que des systèmes de formation permanente aient à permettre de s’adapter à court terme aux transformations de son poste de travail, que la formation initiale ait à créer des citoyens “ adaptables ”, voilà bien deux évidences consensuellement admises, même si des stratégies pertinentes sont moins aisées à expérimenter et surtout à démultiplier. Mais il ne faut pas oublier les conséquences parallèles des transformations à plus long terme. La disparition de l’imprégnation professionnelle se traduit symétriquement en terme d'incertitudes et d'ouverture. Comment éviter que cette situation ne génère que des inadéquations, des errances et des déqualifications ? S'attacher à la meilleure adéquation formation initiale et emploi ne suffit pas ; encore faudrait-il donner à chacun l'envie et les moyens d'être l'acteur, plutôt même “ l'auteur ” de sa vie professionnelle, à créer de l’empowerment, pour reprendre l’expression anglo-saxone. Ainsi, l'on mettrait ce champ de liberté potentielle au service du libre arbitre en donnant plus de possibilités à chacun de profiter de cette marge de manœuvre. Et le succès de dispositifs fondamentaux pour une véritable “ formation tout au long de la vie ” comme la validation des acquis, le bilan volontaire de compétence, le congé individuel sont à ce prix. Il ne peut y avoir vraiment de formation tout au long de la vie sans co-investissement du bénéficiaire et il ne peut y avoir de co-investissement librement consenti sans empowerment.

Développer la culture du projet et de l’orientation

A partir de ces constats, de plus en plus nombreux sont ceux qui affirment la nécessité d'une culture de l'orientation professionnelle à tout âge. Cette mise en culture de l'orientation ne recouvre pas seulement la connaissance du monde du travail et des métiers, mais aussi l'éducation des choix et la connaissance de soi. Connaître les possibles, savoir choisir et connaître ses valeurs et ses limites sont en effet trois compétences inséparables de toute orientation choisie. Les professionnels sont parfaitement au fait de l'importance de chacun des termes de ce triptyque : l'information sur les professions et les emplois sont au coeur des préoccupations de tous ; l'apprentissage des choix et la connaissance de soi sont reconnus comme des compétences-clés qui fondent l'autonomie de l'individu.

 

Si cette importance de la mise en culture de l'orientation est largement formulée, l'attention n'est sans doute pas encore assez attirée sur la nécessité de faire comprendre les changements actuels dans la nature même du travail. Ce dernier se dématérialise et la mondialisation dérègle les fragiles équilibres économiques de la planète. Réflexions, expérimentations voire (dé) réglementations sur le temps se multiplient : temps aménagé, temps partagé et partage du travail, contrat d'activité. Autant d'évolutions qui doivent modifier les représentations du travail, d'autant qu'en filigrane, c'est sa place même de valeur centrale dans l'équilibre individuel et collectif qui est en cause : combien de temps encore la "profession" pourra-t-elle encore affirmée comme composante essentielle de l'état civil d'un citoyen ?

 

Un autre signal d'alarme corollaire doit être tiré en ce qui concerne l'apprentissage de l'initiative et du projet : Inventer, construire un projet de vie ? Nécessité ou fantasme ? Créer son activité, son emploi ? Utopie ou réelle possibilité ? Qui se préoccupe aujourd'hui d'aider à répondre à ces questions ? Certes, il existe quelques organisations qui soutiennent voire promeuvent des initiatives individuelles, mais force est de constater que le système éducatif est frileux dans ce domaine, tout comme d'ailleurs le monde économique. Ces questions révèlent un double manque : d'une part peu de choses sont faites pour développer l'apprentissage du projet qu'il soit économique ou non, d'autre part, la sensibilisation et la formation à l'esprit d'entreprendre sont quasiment inexistantes. Tout concourt à ce que nos concitoyens pensent que le seul salut professionnel se trouve dans la recherche forcenée d'une offre d'emploi sur le marché fermé de la vie professionnelle.

Conjuguer l’appareil culturel et celui d’insertion et de formation :


L’exemple des cités des métiers

Comment agir pour le développement et le partage de cette culture de l'orientation ? Il s'agit avant tout de questions culturelles, puisqu'il est question de faire évoluer les représentations du travail et de la vie professionnelle. C’est donc des convergences d’acteurs qui doivent apparaître : des conjugaison des efforts culturels d'une part et de gestion de la vie professionnelle d'autre part hybridant les compétences, où peuvent œuvrer de concert des acteurs de la sphère culturelle et des dispositifs d'insertion et de formation. C'est ainsi que la Cité des Sciences et de l'Industrie (CSI) s'est impliquée, en étroit partenariat avec les services compétents, dans une politique d'information et de services dans le champ de l'anticipation professionnelle et de l'évolution du travail et des métiers. Ouverte depuis 1986, la CSI avait d'abord déployé ses moyens pour répondre principalement à deux missions. Etre, d'une part, un lieu de loisir touristique et culturel et, d'autre part, un outil complémentaire de l'éducation initiale. La CSI s'était ainsi conformée aux missions traditionnelles d'un musée scientifique, technique et industriel. Mais l'établissement s'est aussi progressivement lancé sur une voie complémentaire, celle d'être utile en terme d'insertion et d'orientation professionnelles[1], retrouvant ainsi une parenté un peu oubliée avec le projet initial du conservatoire national des arts et des métiers, voici plus de 200 ans.

 

L'ouverture de la cité des métiers il y a dix ans, a été la marque la plus tangible de cette volonté d'utilité sociale directe. Cet espace d'information et de services de 600 m² est destiné à toute personne qui cherche à choisir son orientation, trouver une formation, trouver un emploi, changer sa vie professionnelle, créer son activité. Sa finalité première est de contribuer à rendre chacun plus acteur de sa vie professionnelle. Elle accueille tous les publics, quel que soit leur âge, leur statut, leur niveau de qualification. Depuis son ouverture, cette plate-forme a reçu une moyenne quotidienne de plus d’un millier d’usagers. Du mardi au samedi, chacun y peut bénéficier d'entretiens, sans rendez-vous, avec des conseillers ou accéder librement aux 40 écrans et 4000 ouvrages. Une vingtaine de conférences, rencontres, forums et ateliers sont également proposés mensuellement.

... qui mutualise ressources et compétences pour répondre à besoin commun,

La première des particularités essentielles de ce dispositif est qu'il est co-animé par des partenaires[2] qui ont mis là ensemble leurs ressources pour répondre à un besoin social commun : il s'agit d'une mutualisation de moyens au service d'une meilleure insertion et évolution professionnelle des individus. La seconde particularité de la cité des métiers est d'être centrée sur les besoins des usagers, pensée pour l’empowerment. L'espace et la signalétique sont organisés autant que faire se peut en suivant la hiérarchie des préoccupations des individus. Toute proposition (conseil, outil, événement) est conçue et présentée en liaison avec un objectif qu'elle permet d'atteindre. Ainsi, les conseillers des diverses institutions oeuvrent-ils sous des enseignes indiquant une préoccupation, comme "changer sa vie professionnelle" ou "créer son activité" par exemple et non des logos d'institutions ou des mesures administratives.. Cette plate-forme remplit de manière mutualisée trois fonctions nécessaires et complémentaires aux réseaux des services de l'emploi, de la formation et de l'orientation. En amont, elle est à la fois aiguillage et vitrine ; en aval, elle est "service consommateur" et n'assure pas de suivi individuel. C'est l'usager qui reste intégralement propriétaire de ces démarches. La cité des métiers complète donc les lieux habituels des réseaux, comme les CIO, les ALE, les missions locales, les centres de bilan et autres points "entreprendre en France" sans faire double emploi. Elle se différencie en cela radicalement du traditionnel concept de "guichet unique", qui lui réunit en un même lieu les services habituels des différents réseaux, dans une simple logique de regroupement géographique. Les institutions et les personnels qui la co-animent y développent d'ailleurs de nouvelles façons de travailler et de nouvelles compétences, qui transforment les métiers traditionnels des divers conseillers à la vie professionnelle[3].

... qui essaime dans d'autres territoires

La question principale que l'on peut se poser est de savoir pourquoi de tels équipements ne sont pas plus fréquents ? Ne devrait-il pas y avoir de multiples dispositifs de sensibilisation, d'information, voire d'élaboration de parcours professionnels en complément des réseaux et systèmes curatifs où l'on ne se rend hélas que sur prescription, et encore à reculons ? Les nouvelles médiathèques publiques qui ouvrent leurs portes dans les grandes métropoles ne devraient-elle pas, presque par construction, comprendre des espaces de service à la vie professionnelle ? Toujours est-il que ce concept a suscité l'intérêt de plusieurs partenaires territoriaux qui souhaitent s'en inspirer pour créer des plates-formes respectant les mêmes principes. Une quinzaine d'équipes projets inter-institutionnelles se sont constituées et neuf d’entre elles ont déjà ouvert des plates-formes inspirées de celle de La Villette, dont quatre en France (Nîmes, Ploufragan, dans les côtes d'Armor, Belfort et Guadeloupe), trois en Italie (Milan, Gènes, Cagliari en Sardaigne), une au Bresil (Belo Horizonte dans l’état des Minas Geraïs), une en Espagne (Barcelone) et une préfiguration vient de s’ouvrir de celle du Tyrol en Autriche. Parallèlement, la CSI a formalisé le concept de cité des métiers en créant un label, correspondant au respect d'une charte et d'un cahier des charges, attribué par un comité de labellisation. Dans ces documents, une cité des Métiers se définit comme un lieu multi-publics, multi-partenaires, multi-usages (tous les modalités de consultations et d'information) et multi-thèmes (tous les aspects de la vie professionnelle, tous les secteurs). Ils précisent également qu'elle doit être centrée sur les usagers et en accès libre et gratuit. Plusieurs autres projets de plates-formes bénéficient également de ce label "cité des métiers en projet", dont celle de Porto.

 

 

mais rencontre quelques difficultés à courir plusieurs lièvres à la fois

A La Villette, la cité des métiers se propose d'atteindre plusieurs objectifs complémentaires. D'une part, elle doit être directement utile à ses usagers, en les rendant plus acteurs de leur vie professionnelle ; d'autre part, elle se propose de les amener dans une logique d'anticipation et de développer leur curiosité culturelle. Pour clarifier la situation par rapport à cette seconde ambition, on peut découper ce rôle de marche-pied culturel en trois fonctions complémentaires.

Une première fonction consiste à aider les usagers à oser considérer plus que l'urgence. Venant pour trouver un emploi ou une formation, un usager devrait pouvoir aussi entreprendre une réflexion à plus long terme comme changer sa vie professionnelle ou créer son activité par exemple. Dans les faits, on observe que les usagers sont très nombreux à faire des allers et retours entre plusieurs pôles, lors d'une ou plusieurs venues à la cité des métiers. C'est sans doute au moins autant les entretiens avec les conseillers que la lisibilité des pôles qui favorise ce passage de l'urgence à la construction d'un projet à plus long terme.

Contrairement à ce passage du court au long terme, de l'urgence à une construction de projet qui concerne l'offre interne à la plate-forme, la deuxième fonction "culturelle" consiste à donner aux usagers l'envie et les moyens de se documenter et de chercher "ailleurs". A la CSI, il s'agit particulièrement de les inciter à franchir un couloir et à utiliser les ressources de la médiathèque (revues, annuaires et études professionnelles, rapports d'activités et bien sûr documentation technique). Pour ce faire, une brochure est distribuée qui fait le lien entre les préoccupations individuelles et les différentes ressources documentaires de la CSI ; sous le nom d'ILE (pour Identifier, Localiser et Elargir ses recherches), elle sera bientôt doublée d'un système de recherche informatisé. Actuellement, un usager de la cité des métiers sur trois utilise aussi la médiathèque.

Quant à la troisième fonction culturelle, c'est celle qui doit conduire les usagers à découvrir et utiliser l'ensemble des ressources d'un aussi grand centre STI que la CSI, en particulier les expositions. La cité des métiers n'est là que la porte d'entré et au delà, les choses sont là plus compliquées, et ce pour au moins deux raisons. D'une part, les expositions sont payantes et d'autre part le lien d'utilité n'est pas immédiat. Cela implique qu'il faut baliser le chemin qui conduit depuis la plate-forme dont l'intérêt personnel est évident aux ressources proprement "culturelles".

Dans ce travail, force est de constater que nous n'en sommes aujourd'hui qu'aux balbutiements. Fonctionne d'ores et déjà une "université ouverte de la société de l'information et des réseaux" sur financement FSE[4]. A partir de documentaires ethnographiques produits avec La Cinquième, elle propose de multiples débats sur les transformations du travail et de la formation liés à internet.. Signalons aussi, cette fois pour des publics collectifs (demendeurs d’emploi et jeunes sans qualification), un programme de soixante "segments d'initiation aux nouvelles technologies" de trois jours chacun par an. D'autres outils sont en cours de mise en place pour consolider ce chaînon fragile entre construction de projet professionnel et acculturation technique et scientifique. C'est ainsi que des bornes permettront bientôt d'écouter des témoignages sur la vie et les évolutions professionnelles tout en se trouvant en situation dans les expositions. Sont prévus aussi bien des parcours par secteurs (automobile, métiers du son) que par problématiques ou thématiques (créer son activité, arts et techniques).

Plus globalement, nous travaillons sur l'idée de proposer à la CSI une "université ouverte" qui permettrait de se construire sur plusieurs mois, en fonction de ses objectifs, un parcours à la carte dans l'ensemble des ressources CSI. En amont des cycles habituels de promotion sociale ou de formation continue, elle pourrait permettre à ceux qui hésitent à en franchir le pas de se remettre le pied à l'étrier. Pour ce faire, en plus des expositions, événements, ateliers, lieux documentaires, didacthèques et autres bibliographies, elle devra proposer un bureau d'aide au choix de parcours. Sans doute est-ce seulement au prix d'un tel dispositif que de véritables objectifs d'ouverture culturelle pourront être atteints. Car attention aux pensées simplistes en la matière ! L’amalgame courant  du “ développement de la culture scientifique et technique ” donne à réfléchir : ne devrait-on pas parler séparément de pratiques techniques d’une part et de méthode scientifique d’autre part ?

Clarifier le mariage entre l'action culturelle STI et les dispositifs d'insertion

L'histoire a fait qu'à La Villette, la cité des métiers vise deux finalités à la fois. D'une part celle d'être une plate-forme multipartenariale d'insertion et d'évolution professionnelle et d'autre part celle de servir de porte d'entrée vers la développement culturel STI. De l'extérieur, cette double ambition est difficile à saisir et à séparer . Elle obscurcit quelquefois des volontés d'essaimage de la cité des métiers et la mise en place de certains projets de plate-forme sont brouillés par l'inscription de celle de La Villette dans des objectifs culturels plus vastes. Il s'agit bien de niveaux différents et sur le terrain, on retrouve d'ailleurs les deux types: certains se fixent de purs objectifs d'insertion et d'orientation alors que d'autres reprennent les deux niveaux d'objectifs. La vérité est qu'aujourd'hui se pose simultanément le problème de l’ouverture culturelle et celui de l'insertion et qu'il a urgence à définir plus rigoureusement les objectifs croisés des politiques dans ces deux domaines .

Aller plus loin dans l’hybridation des acteurs

Mais c’est bien là qu’apparaît une des difficultés clés de la formation tout au long de la vie. Ces acteurs sont ils capables d’agir ensemble et de converger massivement ? Nous vivons dans des systèmes fragmentés. Les appareils administratifs s’organisent selon des découpages en voie d’obsolescence. Instruction publique initiale d’un côté, chômage et relations sociales de l’autre, beaux arts et patrimoine d’un troisième, sans oublier sports et jeunesse et bien sûr industrie, commerce artisanat et développement économique… Quelle place pour une véritable impulsion d’éducation permanente dans une telle tectonique des plaques ? Serions nous condamnés à de petites expérimentations là où le tissu local est clairevoyant ?

En réalité, c’est sans doute la vocation même de l’appareil culturel qui doit être interrogée aujourd’hui. Comment ouvrir massivement la responsabilité des acteurs culturels -au delà des beaux arts et du patrimoine- aux urgences culturelles d’aujourd’hui ? Comment inventer des modes de convergences succeptibles de se démultiplier ?

Faire le lien entre les avancées scientifiques et techniques et les préoccupations quotidiennes

Dans nos sociétés démocratiques, une des questions clé des politiques culturelles est celle de la lutte contre l'exclusion et de la réduction des inégalités. Cette question devient même cruciale lorsque sont construits ou aménagés d'importants bâtiments destinés au plus large public, comme des grands musées ou bibliothèques publiques. Si l'on n'y prend garde, ils peuvent finalement se révéler n'être fréquentés que par ceux qui ont déjà l'habitude et la pratique de tels lieux. Leur résultat social est alors l'inverse de celui souhaité : ces établissements fonctionnent comme machines à renforcer l'exclusion culturelle au lieu de la réduire. Face à ce risque, comment s'assurer qu'un équipement va effectivement être utile à l'ensemble des catégories de public, voire même plus particulièrement à celles qui présentent le plus de risques d'exclusion ? Sa politique d'ouverture aux divers groupes scolaires et son implantation géographique sont bien sûr déterminants, mais la nature même de son offre l'est plus encore ; la prise en compte des préoccupations de tous les publics visés dans sa conception est alors essentielle. Heureusement au moins que l’on a renoncé à vouloir faire de tels lieux des temples dédiés à la détection de l’élite future.

Lorsque qu'il s'agit d'action culturelle scientifique, technique et industrielle, le risque est particulièrement fort de renforcer l'exclusion. Il n'est malheureusement pas rare de devoir constater a posteriori que telle action ou tel équipement conçu pour tous les publics n'a finalement touché que ceux qui étaient déjà les plus passionnés et les plus culturellement nantis. Ne reste alors qu'à regretter d'avoir amplifier l'élitisme technologique. Si l'on se fixe au contraire comme priorité de réduire l'analphabétisme technique et scientifique, l'offre que l'on propose doit toucher aussi (et sans doute surtout) les publics qui ne fréquentent pas naturellement de lieux de culture STI. Quelle doit être sa nature pour qu'elle puisse amener ces publics, ceux qui n'y viendront pas par simple curiosité, à se préoccuper des évolutions STI ? Répondre à cette interrogation implique de partir des préoccupations individuelles : la vie professionnelle, la sienne ou celle de ses proches, apparaît alors comme l'un des domaines où chacun d'entre nous est confronté aux effets des évolutions STI.

Et ce d’autant que les représentations des lieux éducatifs et culturels comme lieux de mise à disposition de savoirs figés ne sont plus de mise. La chaîne éducative ne peut plus être regardé comme la remplissage de la tête de celui qui ne sait pas par le savoir dont dispose celui qui sait. On sait bien aujourd’hui qu’éduquer se réalise par une confrontation de représentations, dans un processus où la prise en compte des représentations préalables de l’apprenant est essentielle, autant que le sont les envies d’apprendre de tous les interlocuteurs.

 

Si l’on veut poursuivre dans cette logique d’ouverture, on peut aussi créer des cités de la santé, sur le modèle de la cité des métiers pour faire converger appareils d’éducation à la santé et de prévention, système d’accès aux soins, gestion des assurances maladies et lieux culturels : nous expérimentons ainsi une telle plate-forme depuis 2 ans à La Villette, ce qui conduit à une fructueuse comfrontation de deux dispositifs parallèles d’empowerment : la question de la propriété de son corps et de sa gestion se gère-t-elle de la même façon que la question de la propriété de ses compétences et de son avenir professionnel ? On peut aussi imaginer , selon la vieille idée des boutiques de sciences des cités du consommateur de technologie… Alors à quand de telles plates-formes ? A quand des lieux culturels qui se définiront comme des offreurs de services aux clients et usagers du progrès ?

 

 


[1] Voir Alliage, n° 29-30, La culture scientifique et technique face aux fractures sociales : la cité des métiers à La Villette

[2]  la cité des métiers est animée par des professionnels de l'AFPA, de l'ANPE, de la Boutique de gestion de Paris, du CESI, du CIME, du CIO média-com, du CNED, des DAFCO/GETA et du réseau des CIBC.

[3] Voir le monde  (supplément initiatives) du 17 juin 1998 : la cité de la villette renouvelle les pratiques d'orientation

[4] Voir par exemple sur le site web de la cité des sciences et de l’industrie les pages www.cite-sciences.fr/universiteouverte/